Le passeport vaccinal fait parler de lui seulement aujourd’hui à l’aune de l’épidémie Covid, dans la continuité des applications de suivi des malades telles StopCovid. Or ce projet est déjà bien ancien puisque l’Union Européenne l’avait positionné dans sa feuille de route vaccinale à l’horizon 2022. Et des grands acteurs de la technologie travaillent depuis longtemps sur le sujet, avec une forme de prescience qui ne manque pas d’interroger. On retrouve au cœur de ces projets des acteurs omniprésents depuis le début de la crise, tels que Microsoft et le Forum de Davos, avec leurs célèbres fondateurs, Bill Gates d’un côté et Klaus Schwab de l’autre, par ailleurs auteur du concept de Grande Réinitialisation.


Argument détaillé

Dès le début de la crise, la question d’un passeport vaccinal s’est posée. Aussi appelé passeport immunitaire ou sanitaire, ce document permettrait de prouver qu’une personne a été vaccinée contre le Covid-19 et l’autoriserait, selon les mesures de chaque pays, à voyager à l’étranger ou dans son propre pays, ou encore à se rendre dans certains lieux publics (salles de spectacle, restaurants, cinémas, etc.).

 

1 – Un principe déjà ancien

Le terme « passeport » est très ancien : il remonte au XVe siècle et vient de « passe » et « port » : il s’appliquait à l’époque à la libre circulation des marchandises. Son utilisation pour les voyageurs est attestée dès 1464. Le mot proviendrait non pas des ports marins, mais du document médiéval requis pour passer les portes des villes fortifiées.

Dans le domaine de la santé, le certificat de vaccination international est exigé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’entrée dans plusieurs pays d’Afrique : c’est ce que l’on appelle le « Carnet jaune ». Ce document est délivré lors de la vaccination contre la fièvre jaune, obligatoire pour se rendre dans certains pays. Il répertorie aussi les autres vaccins obligatoires tels que celui contre la rougeole, la rage ou le tétanos.

 

2 – Les applications anti-Covid, précurseures d’un passeport vaccinal

2.1 – En France

2.1.1 – StopCovid

En juin dernier, StopCovid, l’application de contact tracing développée par le gouvernement français, faisait son entrée sur l’App Store d’Apple et sur le Play Store de Google. Depuis son lancement, l’application de suivi n’a été installée que par 2,6 millions de Français.

Pire, StopCovid n’a envoyé que 472 notifications à des cas contact potentiels. Un score gênant au vu du coût d’hébergement et de développement mensuel de StopCovid qui avoisine les 100 000 euros. Pour que l’application fonctionne, les usagers malades doivent impérativement se déclarer dans StopCovid grâce à un code remis par le médecin ou le laboratoire de dépistage.

De l’aveu même de Jean Castex, lorsqu’il devint Premier ministre, StopCovid est un fiasco et “n’a pas obtenu les résultats qu’on en espérait”. De son côté, Cédric O, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, estimait que les Français n’ont pas bien compris l’utilité de l’application de suivi. Emmanuel Macron a concédé à demi-mots le naufrage du projet. “Ce n’était pas un échec mais ça n’a pas marché”.

StopCovid avait été beaucoup moins téléchargé que les applications de suivi analogues développées par d’autres pays d’Europe. Par exemple, les applications de tracing proposées par le gouvernement britannique, dont Protect Scotland et NHS Covid 19, ont été téléchargées par 16 millions d’utilisateurs. Corona-Warn-App, l’application développée par l’Allemagne, a été installée par 20 millions d’allemands. Pour rappel, ces applications de suivi populaires s’appuient sur l’API Exposure Notification d’Apple et de Google, ce qui n’est pas le cas de StopCovid. L’application française utilise le protocole Robert conçu par l’INRIA.

Conscient des limites de StopCovid, le gouvernement a décidé dès le 22 octobre 2020, de refondre complètement l’application, notamment en changeant son nom en « Tout Anti-Covid » ainsi que son interface, tout en en conservant les fondements techniques.

 

2.1.2 – Tous AntiCovid

Lancé le 22 octobre 2020, le principe de TousAntiCovid reste inchangé par rapport aux objectifs de StopCovid : il s’agit d’une app de traçage dont le but premier est d’avertir l’utilisateur s’il a été en contact avec un individu testé positif au Covid-19. Celle-ci fonctionne avec le Bluetooth, qui doit rester systématiquement activé sur le smartphone. La plateforme peut alors déterminer avec quels autres smartphones sur lesquels TousAntiCovid est installé votre propre mobile a été proche et donc savoir qui s’est croisé avec qui. L’application prend en compte les contacts à moins d’un mètre pendant au moins 15 minutes pour ne pas bombarder les utilisateurs de fausses alertes.

Quand une personne est testée positive au nouveau coronavirus, alors elle peut se déclarer comme infectée sur l’application, qui va alors prévenir les individus qui ont été en contact avec elles durant une durée prolongée pendant la période de contagiosité (qui débute à partir des 48h précédent la date de début des symptômes ou sept jours avant son test positif si la personne est asymptomatique). L’utilisateur averti peut alors s’auto-confiner par précaution et passer un test pour savoir s’il a contracté le virus.

Ce mode de fonctionnement implique une forte adoption de AntiCovid (TousAntiCovid) pour que l’approche soit vraiment efficace. Actuellement, l’objectif de 20 millions d’utilisateurs actifs est n’est pas encore atteint. À titre de comparaison, Corona-Warn-App, le pendant allemand de TousAntiCovid, a été téléchargé par environ 22% de la population. L’Irlande est aussi l’un des bons élèves avec un taux de 26%. Tout n’est pas noir, néanmoins, car le gouvernement clame 12 millions d’inscrits et fait tout pour rendre cette application toujours plus utile.

 

2.2 – A l’étranger

La Commission européenne a lancé une initiative visant à créer un réseau européen regroupant les données de chaque application nationale. Les applications de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Irlande sont déjà ainsi reliées, en attendant que d’autres pays rejoignent le mouvement, en commençant par la République tchèque, le Danemark, la Lettonie et l’Espagne. La France elle, ne pourra jamais en faire partie. En effet, TousAntiCovid ne repose pas sur les protocoles de Google et Apple, alors que c’est le cas chez nos voisins.

Au sein de l’Union européenne, seule la Hongrie est dans un cas similaire. L’appli française ne peut donc pas être connectée aux autres et être intégrée à cette grande infrastructure qui est en train de se mettre en place. Ce manque d’interopérabilité force notamment les utilisateurs français à installer et activer à la fois AntiCovid, mais aussi son équivalent dans le pays où ils se rendent. Les frontaliers sont particulièrement concernés.

 

3 – Des initiatives prévues depuis longtemps et en cours de développement

Plusieurs projets faisant appel à des technologies différentes sont apparus depuis quelques années. Un travail de normalisation se réalise actuellement pour concevoir et déployer un protocole international de certification vaccinale.

 

3.1 – Le projet Common Pass

CommonPass est un passeport électronique sur smartphone permettant de certifier de manière sûre et vérifiable l’état de santé d’un individu, afin de l’autoriser à réaliser certains déplacements.

Le projet a été créé en 2018 par le projet suisse The Commons Project et le Forum économique mondial, dont Klaus Schwab est le fondateur et animateur. Klaus Schwab est l’inspirateur du nouveau programme mondial de réinitialisation du monde, encapsulé sous l’appellation de « Great Reset ».

Le premier Common Pass a été a été testé par des voyageurs volontaires débarquant à l’aéroport international Newark Liberty de Londres Heathrow le 21 octobre 2020.

Lors d’un point de presse après ce test, Paul Meyer, PDG du Projet Commons, a déclaré que le CommonPass était née de l’idée selon laquelle les services numériques doivent être construits et exploités et mis à l’échelle pour le bien commun. Un projet en tout cas assez « visionnaire » pour l’époque :

« Nous n’avions bien sûr aucune idée à l’époque, que notre monde serait confronté à une pandémie et serait fermé. L’une des raisons pour lesquelles nous sommes si enthousiastes à propos du CommonPass et de notre extraordinaire collaboration avec des partenaires du monde entier, c’est que nous pensons qu’il peut devenir un outil concret permettant à notre monde de commencer à être reconnecté et à s’ouvrir à nouveau ».

Après les essais réussis avec Cathay Pacific et United Airlines, Paul Meyer et la Fondation travaillent actuellement avec de nombreuses autres grandes compagnies aériennes pour planifier des itinéraires à travers l’Europe, les Amériques, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Selon M. Meyer, le CommonPass sera déployé en novembre et décembre avant d’être déployé à grande échelle à partir du début de 2021.

 

3.2 – Le carnet de vaccination injecté sous la peau

Une dépêche de l’AFP du 19 décembre 2019, et reprise par divers journaux dont Le Monde, relate le projet d’un carnet de vaccination injecté sous la peau, qui serait testé prochainement au Kenya et au Malawi.

Des ingénieurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont en effet inventé des nanoparticules injectables sous la peau qui émettent une lumière fluorescente invisible à l’œil nu mais visible par un smartphone, et qui pourraient un jour servir à confirmer que la personne a bien été vaccinée.

La Fondation Gates, qui finance le projet, a aussi lancé des enquêtes d’opinion au Kenya, au Malawi et au Bangladesh pour déterminer si les populations seront prêtes à adopter ces microscopiques boîtes quantiques, ou préféreront en rester aux vieilles cartes de vaccination.

Comme le relate Le Monde, l’idée est d’inscrire sur le corps lui-même la preuve du vaccin, dans des pays en développement où les cartes de vaccination en papier sont souvent erronées ou incomplètes, et où les dossiers médicaux électroniques inexistants.

Le papier décrivant le système est sorti le 18 décembre 2019 dans la revue Science Translational Medicine. Le système n’a pour l’instant été testé que sur des rats mais les chercheurs, financés par la Fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique), espèrent les tester sur des humains en Afrique dans les deux prochaines années, dit à l’AFP la co-autrice Ana Jaklenec, ingénieure biomédicale de MIT.

A ce stade, se posent plusieurs questions : notamment celles de l’acceptabilité d’une telle solution (les gens accepteront-ils de multiples marquages sous la peau pour chaque vaccin ?) et celle de sa durabilité (qu’adviendra-t-il des points quand le corps des enfants grandira ?).

Un projet à suivre…

 

3.3 – La feuille de route 2018-2023 de l’Union Européenne en matière vaccinale

Le Conseil de l’Union Européenne a adopté le 07 décembre 2018 une recommandation visant à renforcer la coopération de l’UE dans le domaine des maladies à prévention vaccinale. L’initiative visait à lutter contre l’hésitation à la vaccination, à améliorer la coordination en matière d’achat de vaccins, à soutenir la recherche et l’innovation et à renforcer la coopération de l’UE sur les maladies à prévention vaccinale.

La présentation de sa feuille de route sous forme graphique, fait état d’un premier projet : « examiner la faisabilité de développer une carte / un passeport de vaccination commune pour les citoyens de l’UE », avec comme ambition de l’installer dès 2022.

Ainsi, même sans la crise Covid qui ne fera qu’accélérer le calendrier, le passeport sanitaire était déjà prévu par l’Union Européenne.

 

3.4 – La Vaccination Credential Initiative lancée par une coalition d’entreprises technologiques

Une coalition d’entreprises technologiques, dont Microsoft, Salesforce et Oracle, et d’acteurs de la santé ont annoncé jeudi 14 janvier 2021 le développement d’un passeport vaccinal numérique Covid-19. Baptisée la Vaccination Credential Initiative (VCI), cette coalition vise à lancer une technologie qui permettrait aux détenteurs de portefeuilles numériques, comme Google Pay ou l’Apple Wallet, d’y stocker une copie cryptée de leur statut vaccinal par rapport au virus. La VCI a indiqué que les personnes qui ne détiennent pas de smartphone pourront recevoir un document papier ou un PDF affichant un QR code renvoyant à leur statut.

« Le système d’enregistrement vaccinal actuel ne permet pas de rapidement accéder, partager et contrôler de manière pratique des registres de vaccination vérifiables« , a déploré la VCI. Les membres de la coalition travailleraient ainsi à fournir un accès numérique à des registres de confiance en utilisant les spécifications ouvertes et interopérables d’un système appelé « Smart Health Cards ».

La VCI n’a pas détaillé sa feuille de route pour les prochains mois, ni confirmé si elle avait entamé des discussions avec différents États.

Contacté par Les Numériques au sujet d’une éventuelle collaboration avec la coalition ou la mise en place de son propre passeport vaccinal numérique, le ministère des Solidarités et de la Santé a indiqué avoir eu des « échanges préliminaires » avec la Vaccination Credential Initiative, mais que ceux-ci « n’ont pas abouti à des engagements concrets ». Au sujet de l’éventuel développement de son propre passeport vaccinal numérique, le ministère des Solidarités et de la Santé affirme ne pas avoir de position à date sur le sujet, ni sur le dispositif proposé par la Vaccination Credential Initiative. « La question nous parait prématurée. Nous sommes encore dans une phase de montée en puissance de la vaccination où la vaccination n’est pas généralisée au grand public », souligne le ministère.

D’autres pays ont déjà pris les devants, comme le Royaume-Uni, qui s’apprête à tester un système vaccinal numérique, disponible via une application, auprès de milliers de citoyens vaccinés.

 

3.5 – Le registre de suivi en partie géré par Microsoft

La Dépêche du 02 janvier 2021 nous apprend que les informations relatives aux vaccins doivent être saisies dans le fichier « SI Vaccin Covid » qui sera lancé le 4 janvier prochain. Le fichier, qui a été validé par la CNIL le 29 décembre, doit permettre « la mise en œuvre, le suivi et le pilotage des campagnes vaccinales contre la Covid-19 » selon un décret du journal officiel publié le 26 décembre. Le fichier doit notamment permettre de mieux repérer d’éventuels effets secondaires indésirables liés au vaccin. Les informations personnelles de patients (nom, prénom, âge, date et lieu de la vaccination, modèle du vaccin, identité du soignant…) devront ainsi être renseignées dans le fichier.

Cette procédure a rapidement fait émerger des critiques quant à l’utilisation des données personnelles ou encore le secret médical.

La déclaration à la CNIL nous apprend que les données pseudonymisées, c’est-à-dire sans le nom, prénom, numéro de sécurité sociale, coordonnées et ayant été soumises à un traitement spécifique, sont également transmises à la Plateforme des données de santé (Health Data Hub) à des fins de gestion de l’urgence sanitaire et pour améliorer les connaissances sur le virus.

Le Health Data Hub est aujourd’hui hébergé par Microsoft, même si fin novembre 2020, le ministre de la Santé et des Solidarités Olivier Véran s’est engagé à mettre un terme à cet hébergement d’ici deux ans. Deux ans, c’est long, et rien n’exclue qu’une telle résolution ne vole en éclat d’ici là.

Le « Health Data Hub » a suscité de nombreux appels à la prudence depuis son lancement en décembre 2019. Plusieurs voix se sont élevées en effet notamment contre l’octroi de l’hébergement d’une grande partie des données à Microsoft. Pour Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique, un groupe de réflexion privé dont la mission est de réfléchir aux enjeux internationaux des technologies et leur impact sur la souveraineté numérique européenne, ce choix n’était pas technologique, mais politique. Il posait des questions de souveraineté.

Dans une interview au Point le 10 juin 2020, Bernard Benhamou laisse entendre que nous ne sommes pas prêt de sortir de ce partenariat contrairement aux promesses d’Olivier Véran. En effet :

« Microsoft aura à cœur de se rendre indispensable ! En effet, si la réversibilité du choix de Microsoft a souvent été soulignée, il faut se rappeler que le « cœur de métier » des sociétés qui assurent l’hébergement et le traitement en masse des données est justement d’ajouter progressivement des fonctions « propriétaires » afin d’empêcher que leurs clients ne puissent migrer facilement vers d’autres plateformes ».

Un peu plus loin dans l’interview, il pointe du doigt les risques de contrôle que pourront exercer ces sociétés comme Microsoft et redoute l’établissement d’une société de surveillance :

« Le premier risque de ces technologies pour la France et l’Europe pourrait être lié à la remise en cause de notre modèle social au profit d’une logique de contrôle systématisé des individus. Ce que l’enseignante à Harvard Shoshana Zuboff appelle le « Capitalisme de surveillance » dans lequel les Gafam hyper-dépendants aux données transformeront nos sociétés en manipulant le comportement de leurs usagers. À cela s’ajoute le risque que ces technologies ne soient utilisées par les États pour mettre en place une surveillance de masse orwellienne comme le gouvernement chinois avec le « crédit social » qui note chaque individu pour évaluer son comportement social, politique et financier. Face à ces risques, les États européens doivent avoir pour priorité d’élaborer des mécanismes juridiques et technologiques qui permettront d’éviter que les données de santé ne renforcent le profilage des individus à des fins économiques, mais aussi, et peut-être surtout, à des fins politiques ».

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