Le premier laboratoire pharmaceutique au monde, qui a été le premier à annoncer la sortie d’un vaccin contre la Covid-19, est connu pour ses pratiques frauduleuses, comme en témoignent les 74 affaires recensées depuis 2000 où le groupe a dû s’acquitter de 4,7 milliards de dollars de dédommagement. Ces pratiques, qui ont notamment entraîné la mort de 11 enfants africains et des dommages physiologiques sur des dizaines d’autres, dont des problèmes de surdité, de cécité et de paralysie, ont inspiré John Le Carré pour son roman : « La constance du jardinier ». Plus récemment, la vente des stock-options du PDG de Pfizer au moment même de l’annonce de la bonne efficacité du vaccin a scandalisé l’opinion publique. Pour cette entreprise à la morale douteuse, sûre de sa puissance, la tentation d’un pactole à 15 milliards de dollars doit plus que jamais nous inciter à demeurer vigilants quant à la véracité de ses annonces et à la fiabilité de son vaccin.


Argument détaillé

 

Présent dans plus de 125 pays, le groupe est, en 2020, le leader mondial dans son secteur avec un chiffre d’affaires s’élevant à 53,6 milliards de dollars US, une capitalisation boursière de 195 milliards de dollars US fin 2020 et des effectifs de plus de 90 000 employés dans le monde, dont 3 000 en France. Pfizer est notamment connu pour l’un de ses médicaments vedettes, le Viagra, qui a su faire parler de lui. Le groupe s’est développé en partie grâce à des acquisitions externes : Warner-Lambert en 2000, Pharmacia en 2003, Wyeth en 2009, Hospira en 2015…D’importants investissements dans la Recherche & Développement, près de 8 milliards de dollars en 2020, lui permettent d’innover continuellement pour demeurer le leader du secteur. Le groupe est par ailleurs surtout connu pour ces pratiques commerciales frauduleuses comme en témoignent le nombre d’affaires répertoriées et d’indemnités versées. Cette attitude, qui contribue probablement à une certaine efficacité économique, n’est pas de nature à inspirer d’entrée de jeu la confiance.

 

1 – Un groupe réputé pour ses fraudes récurrentes

1.1 – 74 affaires depuis l’année 2000

Le site Violation Tracker est la première base de données d’envergure permettant de répertoire l’ensemble des fraudes des différentes entreprises, par rapport à la réglementation des États-Unis.

Pour le groupe Pfizer, il indique que le groupe Pfizer est concerné par 74 affaires depuis 2000 pour un montant de 4,7 milliards de dollars. On y retrouve pêle mêle des fausses déclarations, des pots-de-vin et autres pratiques de corruption aux Etats-Unis ou à l’étranger, des violations environnementales, la promotion hors AMM ou non approuvée de produits médicaux ou encore des violations de la sécurité des médicaments ou du matériel médical.

 

1.2 – L’affaire nigériane du Trovan en 2007

Pfizer a pratiqué des essais cliniques en 1996 sur plusieurs centaines d’enfants et nourrissons pendant une épidémie de méningite et de rougeole dans l’Etat de Kano, situé dans le nord du Nigéria. Selon le laboratoire, l’épidémie avait tué près de 12.000 personnes et touché plus de 100.000 autres en six mois. Pfizer assure avoir obtenu l’accord des autorités nigérianes pour cet essai et précise qu’environ 200 enfants ont été impliqués dans les tests, dont la moitié ont été soignés avec son antibiotique Trovan (trovafloxacine).

« Les résultats de cette étude ont clairement prouvé que le Trovan a aidé à sauver des vies », estime la compagnie. Mais Médecins sans frontières (MSF), qui s’était efforcée à l’époque de soigner les victimes de l’épidémie de méningite au Nigeria, a durement critiqué Pfizer. « Quand les employés de MSF ont pris conscience de ce que faisait Pfizer, ils ont été scandalisés par les pratiques de la société », a déclaré l’organisation humanitaire dans un communiqué.

Selon les autorités nigérianes, les essais cliniques de Pfizer ont entraîné la mort de 11 enfants et des dommages physiologiques sur des dizaines d’autres, dont des problèmes de surdité, de cécité et de paralysie. En juillet 2009, après deux ans de bataille juridique, Pfizer et l’Etat de Kano avaient annoncé un accord à l’amiable de 75 millions de dollars, dont 35 pour les victimes et 30 pour la construction d’un hôpital pédiatrique.

Le roman de John le Carré La Constance du jardinier et le film The Constant Gardener sont inspirés de cette affaire. Selon des informations divulguées par Wikileaks, Pfizer aurait engagé des détectives pour surveiller le procureur fédéral responsable du procès des essais cliniques du Trovan.

 

1.3 – L’affaire du Bextra en 2009

En 2009, le groupe avait défrayé la chronique en acceptant de payer une amende record de 2,3 milliards de dollars pour solder une plainte sur ses pratiques commerciales. Il s’agissait « de la plus grosse amende jamais infligée par la justice américaine dans le secteur de la santé », selon le ministère de la Justice.

Cette amende concernait des pratiques commerciales frauduleuses concernant l’anti-inflammatoire Bextra. Ce médicament avait été retiré du marché en 2005, en raison d’inquiétudes sur ses effets secondaires, particulièrement cardiaques. Selon les plaignants, Pfizer « a fait la promotion du Bextra pour plusieurs usages et dosages que la FDA, l’autorités sanitaire américain, avait refusé de valider en raison de doutes sur les risques » associés à cet anti-inflammatoire.

Pfizer était également poursuivi pour pratiques commerciales abusives concernant trois autres traitements : le Zyvox (infections bactériennes), le Geodon (troubles bipolaires et schizophrénie) et le Lyrica (troubles nerveux). « Pfizer a ciblé des pédiatres et des adolescents pour étendre la commercialisation du Geodon », citent ces plaignants à titre d’exemple, alors que « la FDA a validé le Geodon pour une population de 18-65 ans ». Par ailleurs, « Pfizer a régulièrement versé des commissions à ces médecins pour enfants pour qu’ils fassent des présentations promotionnelles à leurs pairs sur les bienfaits du Geodon« .

 

2 – Un patron cupidement opportuniste

L’affaire a défrayé la chronique. Le lundi 9 novembre 2020, Albert Bourla, PDG de Pfizer depuis début 2019, a vendu pour 5,6 millions de dollars d’actions du laboratoire américain lundi, le jour où son groupe a annoncé de bons résultats préliminaires sur l’efficacité de leur vaccin contre le Covid-19.

Le jour de cette annonce, qui a déclenché une vague d’espoir dans le monde entier, l’action du laboratoire américain a bondi de 15 %, repartant à l’assaut de ses records de la fin des années 1990. La nouvelle a été saluée par les investisseurs comme la plus prometteuse, à ce jour, sur un vaccin potentiel contre ce virus qui a tué plus de 1,2 million de personnes et a plongé l’économie mondiale en récession.

Albert Bourla n’est certes pas le seul ni le premier dirigeant pharmaceutique ou biotechnologique à tirer profit des gains boursiers de son entreprise durant la pandémie. Les cinq principaux dirigeants de la société de biotechnologie Moderna, qui développe également un vaccin contre le Covid-19, ont encaissé plus de 80 millions de dollars en actions cette année, d’après le site spécialisé « Stat News ».

Ces annonces ont soulevé de nombreuses questions. Qu’ils soient à la tête de Pfizer, Moderna ou Novavax, les patrons de plusieurs laboratoires américains développant des vaccins contre le Covid-19 avec de l’argent public pour certains, ont récemment empoché des millions de dollars grâce à la vente d’actions, suscitant des interrogations sur la convenance de telles transactions en temps de crise sanitaire.

Si les dispositifs baptisés 10b5-1 utilisés par les dirigeants de Pfizer et Moderna semblent légaux, ils apparaissent toutefois « légalement discutables », selon Daniel Taylor, professeur associé à l’école de commerce Wharton, qui étudie de près les laboratoires depuis le début de la pandémie. Que savaient exactement les dirigeants quand ils les ont autorisés, s’interroge-t-il.

Par ailleurs, ajoute-t-il, « je ne pense pas que ces entreprises ont intégré le risque pour leur réputation » en validant la vente d’actions au moment où le monde est encore étouffé par le Covid-19.

Dans un article de Capital, comme l’évoque Sanjai Bhagat, professeur spécialisé dans la gouvernance des entreprises à l’université du Colorado, les patrons ne devraient simplement pas pouvoir vendre d’actions tant qu’ils sont en poste, voire jusqu’à un à deux ans après leur départ. « S’ils ont beaucoup d’actions et de stocks-options à leur disposition, ils ont alors intérêt à faire monter leur prix le plus possible, y compris parfois en n’étant pas forcément complètement honnêtes avec les investisseurs« , avance-t-il.

Au vu du contexte, les conseils d’administration devraient au moins éloigner toute tentation. « Ne rien faire d’illégal » ne suffit pas, « les gens s’attendent à ce qu’ils agissent de façon responsable », assène Sanjai Bhagat. De son côté, le gendarme américain des marchés financiers n’a pas souhaité indiquer si des enquêtes avaient été ouvertes.

 

3 – Les cons, ça dose tout !

Début janvier, les journaux font état d’une drôle d’histoire de doses. Pfizer avait vendu  des flacons contenant chacun jusqu’à 5 doses de vaccins. Après que certains médecins aient découvert qu’il était possible d’extraire parfois une sixième dose de vaccin, Pfizer a décidé le 8 janvier 2021, en accord avec l’Agence Européenne du Médicament (EMA), de considérer que désormais, les flacons contiendraient 6 doses au lieu de 5, Le bénéfice de cette pirouette intellectuelle se valorise à près de 1,5 milliards d’euros grâce à une économie de livraison de 20 millions de flacons au prix unitaire de 12 euros.

Cette décision est en réalité une nouvelle arnaque de ce laboratoire puisqu’il n’est pas toujours possible d’utiliser cette sixième dose, qui reste éminemment théorique.

« La sixième dose nécessite un matériel adapté pour la prélever systématiquement. Tous les centres n’ont pourtant pas reçu ce type d’aiguilles et seringues, il leur est extrêmement difficile de réaliser cette sixième dose ! », s’est alarmée sur Twitter Clarisse Audigier-Valette, pneumo-cancérologue et responsable de l’unité Covid-19 au Centre hospitalier de Toulon (sud de la France).

Dans ces conditions, si Pfizer livre moins de flacons qu’initialement envisagé, « nous vaccinerons moins de personnes que prévu », s’inquiète le collectif de médecins français Du côté de la science.

 

4 – Un vaccin à 15 milliards

Beau pactole pour le groupe pharmaceutique américain Pfizer qui a su être l’un des premiers à concevoir un vaccin contre le coronavirus. Le laboratoire estime dans un communiqué du 02 février 2021 que les ventes de son vaccin anti-Covid, développé en partenariat avec BioNTech, atteindront environ 15 milliards de dollars en 2021. Ce vaccin serait ainsi un des plus gros « blockbusters » de l’histoire de la pharmacie.

Pfizer s’attend par ailleurs à dégager sur ce produit une marge avant impôt d’environ 25% à 30%.

Le chiffre d’affaires total en 2021 devrait atteindre 59,4 à 61,4 milliards de dollars, ce qui correspondrait à une augmentation comprise entre 42% et 47%. En 2020, Pfizer a versé à ses actionnaires 8,4 milliards de dollars de dividendes. Gageons que les actionnaires seront encore mieux servis l’an prochain.

Pour Pfizer, 2020 a représenté « la culmination de son évolution » vers une entreprise plus tournée vers son coeur de métier et l’innovation, a commenté le PDG du groupe, Albert Bourla, dans le communiqué. « Notre capacité à agir rapidement et à utiliser les sciences les plus avancées pour aider à faire face aux défis médicaux les plus importants a été mise à l’épreuve par la pandémie de Covid-19 », a souligné M. Bourla qui envisage l’avenir avec une « confiance renouvelée ».

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