
En 2020, les services de réanimation ont été régulièrement et conjoncturellement en saturation faute d’un nombre suffisant de lits. Le gouvernement, sur avis du Conseil Scientifique, a instauré les mesures de distanciation sociale pour lisser la courbe des hospitalisations. Régulièrement, l’indicateur du taux d’occupation des lits de réanimation a permis le pilotage de la politique de restriction de libertés au travers des confinements et des couvre-feux. En réalité, cette situation était totalement structurelle et prévisible. D’un côté, les flux de passage aux urgences sont en constante augmentation de 3 à 4% par an, avec notamment le vieillissement de la population. De l’autre, le système hospitalier a été détruit sur la demande de l’Union Européenne, qui pousse année après année, la France à privatiser son système de santé et à diminuer ses dépenses publiques en matière de santé. Par ailleurs, le comptage des patients en réanimation est systématiquement surestimé compte tenu d’un système déficient de remontée d’informations, faussant l’évaluation de la situation sanitaire. Ces trois facteurs ont provoqué des prises de décision politiques calamiteuses aux effets catastrophiques : suppression des libertés fondamentales, maintien des malades sans soin à domicile, euthanasie des personnes âgées en Ehpad, précarisation économique des foyers et des entreprises et endettement du pays. Au final, le coût à payer pour la France est bien plus considérable que la somme des économies exigées depuis des années par l’Union Européenne. Comme l’a proclamé Emmanuel Macron dans son premier discours sur le Covid-19, le 12 mars 2020, « ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Il semble bien que dans l’Union Européenne, ce sera impossible.
Argument détaillé
1 – Un système en perpétuelle saturation comme en témoigne la presse
Depuis plus d’une dizaine d’années, les journaux font régulièrement leur Une sur la saturation du système de santé, avec notamment l’arrivée des grippes hivernales.
Le 27 février 2012, dans Ca M’intéresse : « Grippe : pourquoi les urgences sont-elles saturées ? Extraits :
Conséquence de l’épidémie de grippe qui sévit désormais depuis une quinzaine de jours en France, les services d’urgences des hôpitaux sont saturés dans la plupart des régions, et notamment en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, à Lyon et à Paris.
Les personnes âgées, déclarant des détresses respiratoires aigües en lien avec la grippe, sont les plus concernées par une hospitalisation. […]
Le président de l’AMUF, Patrick Pelloux, reproche aux autorités de ne pas avoir anticipé l’épidémie de grippe et pointe les failles du système de santé français.
Comment se fait-il qu’une maladie aussi « ordinaire » que la grippe parvienne à saturer les urgences des hôpitaux ?
« Ce n’est pas lié à l’épidémie de grippe elle-même, qui n’est pas franchement plus virulente que les années précédentes. La situation actuelle tient en réalité à un cumul de trois facteurs qui mettent en avant les difficultés du système hospitalier français.
Il s’agit d’abord d’une conséquence de la dette démographique médicale : dans l’absolu, le nombre de médecins ne recule pas forcément, mais la densité médicale [le nombre de médecins pour 100 000 habitants] si.
Ce qui joue ensuite, c’est la désorganisation dans la permanence des soins [service public censé répondre aux besoins de soins aux heures de fermeture habituelles des cabinets de médecins] : rien n’est vraiment fait pour qu’elle fonctionne convenablement.
Mais surtout, c’est la troisième année consécutive [depuis la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires de 2009, dite aussi loi HPST ou loi Bachelot] que les hôpitaux sont étranglés par des mesures budgétaires très contraignantes. Des lits sont fermés et les médecins doivent travailler en flux tendu, sans aucune marge de manœuvre ».
Le 31 janvier 2013 dans Le Télégramme : « Hôpital Bodélio : le service des urgences à nouveau saturé ». Extraits :
« C’est un problème récurrent depuis plusieurs années au service des urgences de Bodélio. « Une fois encore, il subit une saturation et ce, depuis plusieurs semaines », écrit le syndicat Sud santé dans un courrier adressé au directeur du centre hospitalier. […]
« Il s’agit prioritairement d’une population âgée et polypathologique qui nécessite une prise en charge médicale et des lits de médecine. »
Le 13 janvier 2014, Les Echos publient un article « Hôpital : pourquoi les urgences sont saturées », présentant une étude mettant en cause l’organisation de la médecine de ville et la gestion des lits :
« Autre problème soulevé par les professionnels, la prise en charge des personnes âgées, dont l’arrivée aux urgences est souvent attribuée à un « manque d’anticipation » et au faible nombre de médecins dans les maisons de retraite. Or, conséquence du vieillissement de la population, les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses à se présenter aux portes des hôpitaux.
Dans les gros hôpitaux, les professionnels pointent une « faible disponibilité » de lits dans d’autres services, ce qui conduit à prolonger le séjour des personnes âgées aux urgences en attendant qu’une place se libère, parfois sur des brancards. « C’est pour cela que les urgences sont encombrées », poursuit Jeannot Schmidt.»
Le 19 février 2015, Le Point titre : « Epidémie de grippe: hôpitaux surchargés, les urgentistes s’alarment ». Extraits :
« Le Samu-Urgences de France et l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) ont dénoncé jeudi une « situation sanitaire critique » dans les hôpitaux, surchargés en raison de l’épidémie de grippe, et réclamé au gouvernement la réouverture de lits.
La « sur-saturation des services d’urgence est comparable à celle de l’été 2003« , où la canicule avait fait 15.000 morts, a estimé auprès de l’AFP le président du Samu-Urgences de France François Braun.
« L’épidémie de grippe et les habituelles pathologies hivernales, particulièrement virulentes cette année, entrainent un afflux massif de patients, âgés, vers les hôpitaux« , a détaillé l’association dans un communiqué. »
Le 23 février 2016, dans le Quotidien du médecin : « Urgences saturées : le personnel de l’hôpital de Cherbourg au bord de la crise de nerfs ». Extraits :
« Le service des urgences du centre hospitalier public du Cotentin ne suit plus. « Il ne peut pas gérer le flux massif de patients », explique Pascal Carretey, secrétaire adjoint de la Fédération autonome de la fonction publique hospitalière (FAFPH). L’hôpital accueillait entre 110 et 120 passages par jour aux urgences, mais depuis la fermeture du site de Valognes, il essuie 40 passages de plus. « En jour de pic, on enregistre près de 180 passages quotidiens », détaille-t-il, ajoutant que les conditions d’accueil sont déplorables. « Il y a des annonces de diagnostics dans les couloirs, des patients âgés bloqués sur des brancards pendant des heures. Est-ce normal d’avoir une telle situation au XXIe siècle ? », s’insurge-t-il. La FAFPH pointe également du doigt la restructuration des services de l’hôpital menant à la fermeture de lits. »
Le 11 janvier 2017, Europe 1 titrait : « Avec la grippe, les urgences saturées : « c’est la chute d’un système de santé » ». Extrait :
« Les services d’urgences sont débordés face à l’épidémie de grippe qui sévit en France. Mais pour Gérald Kierzek, médecin urgentiste et consultant pour Europe 1, cet engorgement n’est pas dû à la nature même de l’épidémie. « La grippe n’est pas plus virulente que les autres années », assure-t-il. Ce qui coince, selon lui, c’est l’organisation du système de santé. « On a un système hospitalier qui est à saturation. C’est la chute d’un système de santé. Les services d’urgence, c’est la partie immergée de l’iceberg. Mais tous les services d’hospitalisations, les médecins libéraux tirent aussi la sonnette d’alarme », constate le médecin.
Une politique de réduction des lits. « Tous les professionnels de santé constatent que les personnels ne sont plus écoutés. Les politiques hospitalières sont faites sur des réductions de lits, des réductions d’hôpitaux de proximité, de moyens et sur une augmentation de la productivité. Or quand on augmente la productivité, on épuise les équipes« , explique Gérald Kierzek qui dénonce « le virage ambulatoire ».
Avec les retards d’hospitalisation, la mortalité augmente. Or l’engorgement des urgences et les retards d’hospitalisation ne sont pas sans conséquences sur les patients fragiles, détaille Gérald Kierzek. « Quand il y a un retard, il y a une mortalité qui augmente. »»
Le 19 mars 2018, 20 Minutes titrait : « Hôpitaux: Pourquoi les services des urgences sont-ils saturés dans plusieurs villes de France ? » Extraits :
« « La situation est difficile » , constate Marie, infirmière à l’hôpital de Hautepierre, qui pointe « la politique de fermeture des lits. On a besoin de lits de médecine et de gériatrie. On a vu un patient attendre jusqu’à 40 heures sur un brancard. On n’a pas assez de brancards non plus pour libérer les véhicules de secours qui arrivent aux urgences. Un véhicule a attendu jusqu’à 8 heures devant les portes du Nouvel hôpital civil avant de pouvoir repartir. Il faut libérer les lits pour désengorger les urgences », raconte-t-elle à 20 Minutes. […]
À Paris, depuis le début du mois de mars, les services d’urgences adultes des établissements de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont un taux d’occupation de 15 à 25 % plus élevé que la moyenne de 2016, rapporte Le Monde.
Pourquoi les établissements sont-ils saturés ? Différentes réponses sont données en fonction des interlocuteurs et des régions. Selon la direction du CHU de Rennes, les pics d’affluence de patients sont difficiles à anticiper, et à expliquer. « Nous n’arrivons pas vraiment à les expliquer. Il y a des jours où les flux sont très importants avec des typologies très différentes, sans que l’on ne sache expliquer pourquoi », a-t-elle déclaré à 20 Minutes.
Les épidémies de grippe et de gastro. Certains établissements mettent le récent afflux de patients sur le compte des épidémies, notamment de grippe et de gastro-entérite. « Les épidémies hivernales (bronchiolite, gastro-entérite, grippe) circulent encore beaucoup », indique l’agence régionale de santé Bretagne.
Ce phénomène est aggravé par une tendance de fond, le vieillissement de la population française. « On a l’habitude du flux massif en période hivernale mais on fait face à une population vieillissante polypathologique, qui a de plus en plus de maladies comme le diabète ou l’hypertension, et qui est donc encore plus fragilisée avec la grippe par exemple. Ce sont des personnes qui exigent du temps, une surveillance, une hospitalisation », témoigne auprès de 20 Minutes Marie, infirmière à l’hôpital de Hautepierre à Strasbourg.
Le manque de lits et de personnel. Mais pour Christophe Prudhomme, membre de la CGT et de l’Amuf, cette saturation reflète un « effet de seuil » : « on a tiré sur la corde pendant des années, en enchaînant les plans d’économies et la suppression de 100.000 lits en vingt ans, d’où la tension permanente dans les urgences aujourd’hui. Cela ne va pas s’arranger : en 2018, on nous demande de supprimer 55 postes de personnel non médical et 8 postes de médecins dans le groupe hospitalier de Seine-Saint-Denis ».
« Il faut distinguer le problème de l’épidémie de grippe de celui, plus profond et chronique, de la saturation globale des urgences », abonde Loïc Marpeau, président de la commission médicale du CHU de Rouen, interrogé sur France 3. Le nombre de passages aux urgences augmente depuis plus d’une décennie : plus de 20 millions en 2016, contre 18 millions en 2011 et 14 millions en 2002. »
Le 13 février 2019, Le Parisien faisant sa Une sur « Urgences saturées face à la grippe : «Des gens attendent plus de huit heures dans les couloirs ». Extraits :
« Plus de 39°C de fièvre, douleurs musculaires, problèmes respiratoires… En raison notamment d’un vaccin « d’une efficacité moyenne » des dires de la ministre de la Santé, l’épidémie de grippe s’avère particulièrement violente cet hiver. […]
« Comme chaque année depuis un certain temps, c’est un peu la catastrophe aux urgences, poursuit Didier Machou, responsable CGT à Lyon-Sud (Rhône). Mais là, en plus, on n’arrive pas à trouver de lits supplémentaires dans les services d’aval ». […]
Félix, interne en gériatrie à l’hôpital Sainte-Musse de Toulon (Var), déplore lui aussi un « jeu de chaises musicales incessant » depuis deux semaines. « On est contraint de placer des gens dans des services qui n’ont rien à voir avec la grippe, comme la chirurgie ou l’oncologie, mais où ils seront un minimum médicalisés […] Un chef de mes chefs m’a dit qu’il n’avait jamais vu ça ». Même constat à l’hôpital Cochin (14e arrondissement). « Nos services d’aval comme la pneumologie, où on doit transférer nos patients, sont assez congestionnés. Donc nous aussi », abonde Pierre, interne en réanimation dans la capitale.»
2 – Une saturation structurelle depuis plus de 20 ans
Le système hospitalier se retrouve régulièrement saturé de manière structurelle, et non exceptionnelle, à cause d’un effet ciseau :
- D’un côté, l’augmentation des flux en moyenne de 3 à 4% par an, se traduisant par 20 millions de passages aux urgences en 2016 versus 14 millions en 2002.
- Vieillissement de la population avec l’arrivée des baby-boomers à un âge avancé (cf Argument 1) : des personnes âgées polypathologiques (diabète, hypertension…) fragilisées par les épidémies virales régulières (grippes, rhyno…)
- Les épidémies hivernales (bronchiolite, gastro-entérite, grippe…) touchant toutes les populations
- Le recul de la médecine de ville, qui faisait tampon entre les malades et l’hôpital
- L’accessibilité des soins en urgence, rendue simple et pratique
- Le développement de la médecine ambulatoire, poussant les patients à quitter l’hôpital le jour même de leur hospitalisation
- Un changement des mentalités, faisant de l’hôpital un objet de consommation
- Le développement de la bobologie, se traduisant par un usage intempestif des urgences
- De l’autre, la diminution de la capacité hospitalière :
- Suppressions des lits d’hôpitaux : 69 000 lits entre 2003 et 2017 et près de 100 000 lits en 20 ans
- Diminution des moyens alloués à la santé publique, dégradant de manière très sensible l’offre et la qualité des soins
Le nombre de passage aux urgences augmente chaque année de près de 3 à 4%, ce qui signifie un doublement tous les 18 ans environ.
Au-delà de cette augmentation annuelle, on constate que l’affluence a de plus en plus tendance à devenir plus permanente que strictement saisonnière, à l’occasion des pics épidémiques hivernaux. Ainsi, les services sont ainsi placés sous une forte tension pendant sept mois par an plutôt que pendant deux mois, comme on l’observait il y a encore quelques années. Il en résulte une disparition des périodes de respiration, particulièrement épuisante pour les équipes.
2.1 – Le vieillissement de la population
Plus on se trouve à un âge extrême de sa vie (enfance ou vieillesse), plus on va aux urgences. Or la part des plus de 65 ans en France est passée de 16 % en 2000 à une prévision de 20,1 % de la population en 2020.
- La France compte aujourd’hui 15 millions de personnes âgées de 60 ans et plus (22% de la population actuelle).
- En 2060, l’INSEE estime qu’un tiers de la population française aura 60 ans ou plus (24M).
- 9% des personnes de plus de 60 ans sont dépendantes (1,4 M) aujourd’hui, sachant que l’âge moyen de perte d’autonomie est de 83 ans (INSEE, 2018).
- En 2060, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler et concerner 2,6M de personnes âgées (INED).
2.2 – Les épidémies hivernales
L’hiver, l’organisme dépense plus d’énergie pour se réchauffer : les vaisseaux sanguins et les muscles se contractent pour limiter les pertes de chaleur. L’air froid et sec irrite les voies respiratoires qui jouent donc moins bien leur rôle de barrière contre les microbes. Et nous avons tendance à consommer moins de fruits et de légumes crus, et manquons parfois de vitamine C, dont on sait qu’elle participe à l’efficacité des défenses immunitaires. Notre organisme est fragilisé et donc plus sensible aux infections.
Par ailleurs, lorsqu’il fait froid, comme l’indique la mutuelle Harmonie-Prévention, nous avons tendance à rester confinés dans des lieux clos et à davantage utiliser notre voiture ou les transports en commun. Or, il suffit qu’une personne tousse ou éternue pour que les microbes se propagent et contaminent plusieurs personnes présentes dans le même espace.
- Toute la sphère ORL (nez, gorge et bronches) est fragilisée : rhumes ou rhinopharyngites, angines et maux de gorge, bronchites, bronchiolites et otites plus particulièrement chez les enfants se succèdent durant tout l’hiver. Ces maladies peuvent être provoquées par des bactéries ou plus souvent des virus.
- La grippe saisonnière est quant à elle due à des virus, qui survivent mieux dans le froid et l’humidité, c’est pour cela qu’elle sévit surtout en hiver.
- Enfin les gastroentérites sont plus fréquentes à la saison froide, car nous restons davantage confinés et négligeons parfois l’hygiène des mains.
Santé Publique France nous alerte sur « la grippe qui est souvent considérée comme une maladie peu dangereuse. Ce qui est le plus souvent le cas lorsqu’elle touche des patients jeunes en parfaite santé. Mais la grippe peut être grave, voire mortelle, en particulier chez les personnes fragiles, comme les personnes âgées, les personnes atteintes de certaines maladies chroniques, les femmes enceintes, les personnes souffrant d’obésité ou encore les nourrissons. Des complications peuvent alors apparaître, telles qu’une infection pulmonaire grave (pneumonie virale ou bactérienne) ou encore une aggravation d’une maladie chronique déjà existante (diabète, bronchopneumopathie chronique obstructive, insuffisance cardiaque, maladie rénale chronique, mucoviscidose, etc.). »
L’Insee a publié une analyse sur la survenance de ces épidémies durant l’hiver, depuis près d’un siècle :
« La répartition des décès au cours d’une année est fortement modifiée lorsque des épidémies surviennent de manière très meurtrière ou selon un calendrier inhabituel (comme en 2020 par exemple, avec la pandémie de Covid-19). En 1918, l’épidémie de grippe espagnole touche la France fortement dès le mois d’octobre, juste avant la fin de la Première Guerre mondiale. Le nombre de décès en octobre 1918 est supérieur de 88 % à ce qu’il aurait été si le même nombre de décès avaient eu lieu chaque jour de cette année-là (figure 4b). Cette épidémie a fait entre 200 000 et 400 000 morts en France [Meslé, 2010].
Plusieurs autres épidémies grippales ont été importantes en France.
Celle de l’hiver 1948-1949, dite « grippe italienne », a entraîné un pic de décès en janvier 1949 : 87 900 décès ont eu lieu ce mois-là, ce qui en fait le mois avec le plus grand nombre de décès depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’épidémie de grippe asiatique, qui a duré de 1956 à 1958 dans le monde, a circulé dès le mois d’octobre 1957 en France.
La grippe de Hong-Kong, présente en France dès l’hiver 1968-1969, a provoqué 27 000 décès directs l’hiver suivant [Meslé, 2010]. Sur le seul mois de décembre 1969, il y a 54 % de décès de plus que s’il était décédé cette année-là le même nombre de personnes chaque jour.
À titre de comparaison, avec 8 000 décès directement liés à l’épisode de grippe d’après Santé publique France, les décès en janvier et février 2019 ne sont supérieurs que de 16 et 18 % aux nombres attendus si les décès se répartissaient uniformément sur l’année ; en janvier 2017, les décès sont cependant supérieurs de 32 % à une répartition uniforme, la grippe de l’hiver 2016-2017 étant la plus sévère de ces cinq dernières années (14 000 décès directs d’après Santé publique France) ».
2.3 – Le recul de la médecine de ville
Le recul de la médecine de ville, dont le cœur de métier a évolué. Yonathan Freund explique que « le médecin généraliste qui faisait des journées de quinze heures, six jours sur sept, et qui prenait des consultations à 22 heures, c’est terminé ». Par ailleurs, pour les patients, décrocher une consultation en situation d’urgence médicale relève parfois du défi. Un sondage réalisé en 2017 pour l’Observatoire de l’accès aux soins révélait que 60 % d’entre eux disaient avoir renoncé à se soigner face à la difficulté d’obtenir un rendez-vous rapidement ; 46 % des sondés mettaient ce renoncement sur le coût de consultation, et 32 % évoquaient l’éloignement géographique du médecin.
Le 13 octobre 2017 au cours de l’inauguration de la Maison de Santé de Châlus (87), le Premier ministre, M. Edouard Philippe et la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn ont présenté un plan afin de renforcer l’accès territorial aux soins pour tous les Français.
Le « plan pour l’égal accès aux soins dans les territoires« , présenté en 2017, évoque les difficultés d’accès aux soins et ce recul de la médecine de ville, en précisant certaines raisons.
2.3.1 – Une démographie médicale déclinante
L’Ordre des médecins estime que 6000 départs en retraites ne seront pas remplacés d’ici 2025 (départs en retraite, baisse du nombre de généralistes).
Le panorama de santé de l’OCDE du 23 novembre 2017 note qu’entre 2000 et 2015, le nombre de médecins en France est resté stable (3,3 médecins pour 1 000 habitants). Mais si l’on compare ce chiffre avec celui des autres pays de l’Union européenne, on constate qu’on peut faire mieux. En effet, « il a augmenté presque partout », selon Gaëtan Lafortune, économiste à l’OCDE. La France affichait un niveau « plus élevé que la moyenne européenne en 2000 » et se situe désormais en-dessous, observe-t-il. Ces médecins sont en outre relativement âgés : près de 50 % d’entre eux ont plus de 55 ans, ce qui n’augure rien de bon pour la suite, car cela constitue une « crainte que les pénuries de médecins continuent ».
Si le nombre de médecins en général est resté stable, leur nombre des médecins généralistes a en revanche fortement diminué comme en témoigne l’Atlas de démographie médicale 2020. Et les projections jusqu’en 2025 confirment cette tendance.
2.3.2 – Une forte disparité territoriale compte tenu du manque d’attractivité de certains territoires
Chaque année, des rapports alarmistes sont publiés, soulignant « la crise de la démographie médicale » (Saint-André JP et Richard I, 2007). Celle-ci serait caractérisée par la « répartition (géographique) anarchique » (Le Pen C, 1999) des praticiens qui, malgré leur nombre, ne parviennent pas à satisfaire la demande en soins sur l’ensemble du territoire français.
Comme le note l’analyse « Déserts médicaux » et accessibilité aux soins : de quoi parle-t-on ?« , les pouvoirs publics ont tout d’abord utilisé le numerus clausus, qui régule le nombre d’étudiants admis en 2e année de médecine, pour faire face soit à la pénurie soit à la « pléthore » de médecins avec, cependant, des effets décalés dans le temps, dus à la durée des études (au minimum 9 ans). Pour autant, l’augmentation du numerus clausus depuis le début des années 2000 n’a pas eu d’incidence notable sur les inégalités territoriales d’offre de médecins généralistes. La médecine générale étant délaissée au moment du choix de la spécialité s’opérant à la suite des épreuves classantes nationales (ECN), les effectifs de médecins généralistes nouvellement formés ne compensent pas ceux partant à la retraite. Par ailleurs, le numerus clausus ne s’accompagne pas d’une régulation géographique fine de l’installation des médecins, ceux-ci étant libres de s’installer où ils le souhaitent.
2.3.3 – Les jeunes médecins ont de nouvelles aspirations
Ils ou elles recherchent plus d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, un travail en équipe élargie et une diversité des modes d’exercice. Ils ne sont pas prêts à travailler seul dans une zone souffrant de déficit d’offres de soins.
2.3.4 – La féminisation de la profession
Comme le révèle une analyse de GeoConfluences de 2013 (les conclusions sont toujours d’actualité), en 2012, 42 % des médecins étaient des femmes, contre 26 % en 1986 (CNOM, 2012a ; HCAAM, 2007). Cette croissance devrait se poursuivre, puisque la DREES (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques) prévoit que les femmes seront majoritaires parmi les médecins en 2022, elles représentent déjà 56 % des médecins actifs de moins de 45 ans et six internes en formation sur dix. Une étude de l’Union Régionale des Médecins Libéraux en Rhône-Alpes montre que les femmes médecins considèrent des critères tels que « l’éducation des enfants », la « qualité de vie » ou « la carrière du conjoint » comme les éléments les plus déterminants pour leur installation, contrairement aux hommes qui privilégient plutôt les aspects financiers (URML, 2005). Ces aspirations différentes peuvent donc en partie expliquer les difficultés des « médecins de campagne » à trouver des remplaçants parmi des femmes médecins de plus en plus nombreuses.
Au delà de la dimension territoriale, les femmes médecins choisissent plus facilement une pratique de leur métier en part-time pour accorder du temps à leur famille, diminuant ainsi la capacité de médecine de ville d’autant.
2.4 – L’accessibilité des soins en urgence
L’accessibilité des soins en urgence se positionne en contrepoint de la raison précédente. Les patients vont aux urgences parce que c’est pratique, comme le confirme une étude de la Drees : à la question « Pourquoi êtes-vous venu aux urgences ? », 61 % des patients sondés ont coché la case « pour l’accessibilité aux soins ».
2.5 – Le développement de la médecine ambulatoire
Le développement de la médecine ambulatoire consiste à ce que les patients sortent de l’hôpital le jour même de leur opération, afin de réduire le nombre de lits et les coûts qui leur sont associés. En réalité, cette politique se traduit par une hausse du taux de re-consultation, qui mesure le retour des malades à l’hôpital après un premier séjour. Cette politique multiplie les risques de cas où le patient est opéré, rentre chez lui, voit son état se dégrader et retourne finalement aux urgences.
Le rapport de l’OCDE de 2017, a constaté que « la France est moins centrée sur les soins hospitaliers que par le passé ». Cela en raison, notamment, du développement de la chirurgie ambulatoire. Cette situation a été « facilitée ces dernières années par l’extension du « Programme d’Accompagnement du Retour à Domicile », qui a été lancé en 2010 », note l’organisation, qui précise que « le développement de la chirurgie ambulatoire a aussi été identifié comme une priorité au cours des deux dernières décennies ».
2.6 – Un changement des mentalités
Un changement des mentalités, où les patients se comportent comme des consommateurs d’une offre de soins complète et efficace, « sorte de supermarché ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, où vous êtes sûr de trouver tout ce dont vous avez besoin ».
2.7 – Le développement de la bobologie
Le développement de la bobologie, qui consiste à solliciter les services hospitaliers sans en avoir vraiment besoin, pour une petite douleur ou par inquiétude. En réalité, la proportion de passages en catégorie 1, soit celle des patients n’ayant besoin d’aucun acte complémentaire d’imagerie ou biologie médicale, n’augmente pas avec le temps, et n’explique donc vraiment au final pas l’augmentation des flux.
2.8 – La diminution du nombre de lits
Le panorama des établissements de santé 2019, publié par la Drees, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, rattachée au ministère de la Santé, fait état d’une suppression de 69 000 lits entre 2003 et 2017.
De même, un rapport de l’OCDE, du 23 novembre 2017, affirme qu’en 15 ans, le nombre de lits a baissé de 15 % à l’hôpital, alors que la population a augmenté de 10 %. « Tous les types de lits sont concernés par cette baisse », développent les auteurs du rapport, notamment en service de psychiatrie (-8 %), de soins aigus (-12,5 %) mais surtout en ce qui concerne les soins de longue durée (-60 %). Pour les soins de longue durée, l’organisation met en cause une « reconversion des services concernés en maisons de retraite médicalisées », plus à même de prendre en charge les personnes âgées dépendantes.
Comme le révèle l’European DataLab dans un article d’avril 2020, le nombre de lits disponibles pour soin curatif pour 100 000 habitants permet de mesurer la capacité d’accueil des hôpitaux. À l’échelle de l’Europe, on dénombre 345 lits pour soin curatif pour 100 000 habitants mais cela cache de fortes disparités entre pays (Graphique 1). Au sein des États avec les plus importantes capacités d’accueil, il y a une majorité de pays de l’Europe de l’Est, parmi lesquels la Bulgarie (617 lits), la Lituanie (547 lits) et la Roumanie (525 lits). L’Allemagne, l’Autriche et la Belgique sont également bien dotés avec au moins 500 lits pour 100 000 habitants.
Les pays de l’Europe de l’Ouest composent en grande partie le groupe des États avec les plus faibles capacités d’accueil. La France appartient à ce groupe avec 309 lits disponibles pour 100 000 habitants. La Suède, le Royaume-Uni et l’Espagne comptent les plus faibles capacités d’accueil en Europe avec moins de 250 lits.
2.9 – La diminution des moyens alloués à la santé publique
Les moyens alloués à la santé publique baissent constamment depuis la fin du XXe siècle. Les investissements chutent comme l’illustre la figure ci-dessous, malgré l’importante augmentation de la population âgée, la plus fragile.
Les politiques de “rationalisation de l’offre de soins” (8,4 milliards d’euros sur 10 ans), comme elles se sont appelées, ont dégradé structurellement le système public de soins :
En premier lieu, en favorisant la fermeture de nombreux hôpitaux et services, dont des services de réanimation dans des petits hôpitaux par exemple, si sensibles aujourd’hui.
Ensuite, en accentuant la rationalisation et l’automatisation des actes de soins, obligeant les personnels hospitalier « d’enchaîner des actes techniques de soin sans avoir le temps d’avoir le temps d’accompagner les personnes, de donner du sens à la maladie, de savoir comment va se dérouler concrètement le traitement jusqu’à la guérison ».
Le livre « la casse du siècle« , de Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, précise :
« progressivement, le soin se trouve réduit à une liste de tâches standardisées par catégorie de personnel et créneau horaire auxquelles sont attribués des temps moyens de réalisation ; cette standardisation permet d’obtenir ce que certains consultants ou experts en organisation nomment des « ratios de productivité » : une aide-soignante peut transmettre x dossiers en vingt minutes, distribuer tant de repas en trente minutes, une infirmière peut poser y perfusions, changer tant de pansements en tant de temps, etc. Ainsi sont prévus des effectifs dits « optimaux » en fonction du profil type de l’activité préalablement estimé, à partir desquels in fine seront définis pour le personnel des horaires et des roulements adaptés aux variations de l’activité : le temps de travail est un outil central de la démarche de réorganisation des pratiques professionnelles ».
Enfin, en dégradant les conditions de travail, rendues éprouvantes, et conduisant à « une fuite des jeunes diplômés, 30% abandonnent le métier dans le 5 ans… » Découragés par des conditions de travail éprouvantes, « ils sont nombreux à reprendre leurs études pour se reconvertir ». Le livre « la casse du siècle » explicite cette dégradation des conditions de travail :
« Car, si ce travail a toujours été frappé de pénibilité physique, mentale et émotionnelle, celle-ci a connu une aggravation depuis le milieu des années 1990 avec les réformes gestionnaires et la sollicitation croissante de l’hôpital par des personnes précarisées et « chassées » de la médecine de ville. Alors que le personnel hospitalier cumule déjà de nombreuses contraintes pesant sur sa santé du fait de son travail (efforts physiques importants, exposition à un environnement de travail toxique, horaires postés et décalés, compliquant de surcroît l’articulation entre vie professionnelle et vie privée), les études montrent que les sollicitations physiques s’accroissent chez toutes les catégories de travailleurs, mais particulièrement chez les aides-soignantes et les agents de service : de plus en plus de déplacements longs et nombreux, de piétinements, de stations debout prolongées, de manipulations de charges lourdes, de mouvements douloureux et fatigants. Ces contraintes s’exercent de surcroît alors que la population soignante tend à vieillir et que les difficultés matérielles se multiplient (locaux vétustes et/ou inadaptés, chariots et moyens de manutention détériorés, etc.). Les cadences augmentent, les délais se raccourcissent et le travail s’intensifie puisqu’il faut, en raison du financement à l’activité, traiter toujours plus de patients à effectifs constants. La rotation des lits est plus rapide, le nombre de consultations par vacation augmente fortement. Dans les services, le vocabulaire industriel envahit le discours des soignants qui décrivent leur travail. Nombreux sont ceux qui parlent d’un travail « à la chaîne », avec l’impression d’être « à l’usine » ou « à la mine », de s’être transformés en « piqueuses », en automates ou en entrepreneurs chargés de faire du chiffre ».
En 2002, Jean-François Mattei, alors ministre de la Santé, lance le plan « Hôpital 2007 », plan contraignant, afin de diminuer les dépenses de santé. Dans son discours de novembre 2002, il annonce la mise en place de « la tarification à l’activité incitative ».
L’idée est de passer de la DG (Dotation Globale) à un système de tarification à l’activité (T2A) ou « tarification à la pathologie », système copié sur le mécanisme d’allocation des ressources appliqué aux États-Unis par les health maintenance organizations dans le cadre du programme Medicare. La tarification à l’activité était née, reposant sur l’attribution d’un montant en fonction des pathologies et de la “durée moyenne de séjour” (DMS) du patient.
Dans une analyse de la destruction de l’hôpital public, s’appuyant notamment sur le livre Hôpitaux en détresse, patients en danger (2018), l’UPR arrive à la conclusion que, « coincés entre des recettes structurellement et délibérément orientées à la baisse et des dépenses structurellement orientées à la hausse, les établissements hospitaliers n’arrivent plus à être à l’équilibre, et n’arrivent plus à investir ».
3 – Aux sources de la destruction de l’hôpital public
Nous reprenons ici l’analyse effectuée par l’UPR, précédemment citée, pour comprendre les origine du problème.
3.1 – Le Rapport économique, social et financier dans le projet de loi de Finances
Chaque année, le gouvernement français publie, en annexe du projet de loi de Finances (PLF), et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), un document méconnu, le Rapport économique, social et financier (RESF).
Il faut savoir que, du fait de son appartenance à l’Union européenne, le gouvernement français est tenu chaque année de présenter à la Commission européenne, par le biais du RESF, la politique budgétaire qu’il compte mettre en œuvre pour appliquer les « recommandations » dictées par la Commission.
Ce RESF comprend de manière très synthétiques tous les éléments clés du PLF et du PLFSS, deux documents qui scellent le sort de tous les sujets d’importance pour la politique publique française : impôts, TVA, taxes, prélèvements à la source, RSA, prime d’activité, SMIC, CICE, TICPE, fiscalité écologique, CSG, minimum vieillesse, retraites, ISF, IFI, Sécurité sociale, AAH, APL, CAF, financement des services publics, des écoles, des hôpitaux, de la justice, des pompiers, de la dépendance, chômage, etc.
Les RESF des dernières années militent pour la réduction des dépenses publiques pour la santé, en 2019 comme en 2018, de même pour les années précédente, puisqu’ils répondent aux injonctions de l’UE au travers des GOPÉ annuelles.
3.2 – Les grandes orientations des politiques économiques (GOPÉ)
Il est important de bien connaître ce que sont les « grandes orientations des politiques économiques » (GOPÉ), qui sont des « recommandations » de politique économique et sociale émises chaque année par la Commission européenne — non élue, et adressées à chacun des États membres, en fonction de leurs spécificités économiques structurelles internes respectives, et en vertu de l’article 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ces GOPÉ sont en fait la véritable feuille de route de la politique économique et sociale de tous les gouvernements des États membres de l’UE, et notamment du gouvernement français, indépendamment de toute couleur politique. Les GOPÉ sont publiées après le programme national de réforme (PNR), le plus souvent fin mai, en anglais, puis peu de temps après dans la langue de chaque État membre. Ces derniers sont contraints de s’y plier, dès lors qu’ils sont membres de l’UE.
À l’occasion du Conseil européen de Göteborg des 15 et 16 juin 2001, les GOPÉ ont été définies par les États membres comme servant de « cadre de définition des grands objectifs politiques ». Ces « recommandations » sont de facto des obligations, notamment depuis le pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 2011. Avec le « Six pack » (également désigné sous l’expression « volet correctif » du PSC), la Commission peut sanctionner les États membres qui s’écarteraient ou seraient en retard, délibérément ou non, dans l’application des mesures préconisées ».
Petit tour d’horizon des GOPÉ des dernières années pour comprendre la nature des obligations auxquelles la France doit répondre en matière de santé :
GOPÉ 2015 :
« Il est impossible de dégager à court terme d’importantes économies sans ralentir considérablement la croissance des dépenses de sécurité sociale qui ont représenté 26% du PIB en 2014, soit près de la moitié des dépenses totales du secteur public. Des économies de 11 milliards d’euros sur les dépenses de santé sont prévues pour 2015-2017, mais des efforts supplémentaires seront nécessaires pour limiter les hausses de dépenses dans ce domaine. Il est notamment possible de renforcer encore la mise en œuvre des politiques de maîtrise des coûts dans le domaine des prix des médicaments et des dépenses hospitalières ».
GOPÉ 2016 (sachant que les objectifs de l’année précédente ont été fixés par le GOPÉ 2015) :
« La France s’est fixé des objectifs ambitieux pour 2016 et 2017 afin de limiter la croissance des dépenses de santé. Ces objectifs pourraient être complétés par des efforts supplémentaires visant à identifier des gains d’efficacité sur le moyen à long terme ».
GOPÉ 2018 , qui considère la santé comme un « service marchand » au même titre que tout autre, et sa mise en concurrence devrait lui permettre de se « développer » :
« La concurrence dans le secteur des services marchands reste entravée par des exigences réglementaires et des contraintes administratives, qui empêchent aussi les entreprises de se développer. Des réformes dans le secteur des services pourraient, à condition d’être suffisamment ambitieuses et intégralement mises en œuvre, avoir une incidence positive considérable sur l’économie. Il y a lieu, pour prioriser les efforts de réforme, de tenir compte de l’importance et de la performance économique des sous-secteurs de services. Une approche fondée sur des indicateurs, utilisées pour déterminer les réformes prioritaires dans le secteur des services, a mis en lumière un certain nombre de services aux entreprises (activités d’architecture et d’ingénierie, activités juridiques et comptables, services administratifs et de support), ainsi que le commerce de détail, les services d’hébergement et de restauration et la santé ».
GOPÉ 2019, qui recommande de faire progressivement basculer son système de santé du secteur public vers le secteur privé :
« Les dépenses de santé n’ont cessé d’augmenter au fil des ans. Les dépenses totales sont estimées à 11,5% du PIB en 2017, soit le niveau le plus élevé parmi les pays de l’UE membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une nouvelle réforme du système de santé a été annoncée à l’automne 2018, et un projet de loi présenté le 13 février 2019. Cette réforme ne pourra réussir que si un cadre juridique et organisationnel clair, créant les bonnes incitations et promouvant la collaboration entre les acteurs publics et privés, est mis en place ».
3.3 – Les politiques européennes
En prenant davantage de recul historique, après la ratification du traité de Maastricht et la mise en place de l’Union européenne en 1992, puis la mise en place effective de l’euro à partir de 1999, Bruxelles a imposé aux États membres, et donc à la France, un changement de politique, et le respect d’un certain nombre de critères dits “de convergence” économique, inscrits dans ledit traité de Maastricht.
Comme on l’a vu, « la politique budgétaire restrictive, clé de voûte des GOPÉ, impose continuellement à la France de privatiser son système de santé et de diminuer ses dépenses publiques en matière de santé (en application des articles 106 et 121 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).
C’est pour cette raison que, lors du second mandat de Jacques Chirac (2002-2007), la “droite” a amorcé une série de « réformes » de l’hôpital par ordonnances, afin d’aller plus vite (loi d’habilitation n° 2003-591 du 2 juillet 2003, ordonnance n° 850 du 4 septembre de la même année). Et, comme nous l’avons montré dans la partie précédente de ce dossier, c’est durant cette période qu’est lancé le plan « Hôpital 2007 » instaurant la mise en place de la T2A.
Le graphique présenté plus haut, concernant les investissements dans les hôpitaux publics, montre une dégringolade qui a commencé à partir de 2009, sous la présidence dite “de droite” de Nicolas Sarkozy, puis s’est poursuivie exactement avec la même pente sous la présidence “de gauche” de François Hollande.
4 – Le pilotage des capacités hautement aléatoire
4.1 – L’importance des données capacitaires hospitalières dans le pilotage de la politique sanitaire
Les chiffres de réanimation sont des indicateurs qui sont scrutés de près par le gouvernement pour évaluer l’avancée de l’épidémie de coronavirus dans le pays et ainsi prendre les mesures nécessaires pour casser sa dynamique. Chaque jour, Santé publique France dévoile le nombre de personnes actuellement admises dans les services de réanimation dans l’Hexagone.
Le gouvernement s’est fixé des seuils, en termes de capacités d’accueil des malades de la Covid, pour déclencher des mesures sanitaires qui ont des impacts sur la vie des Français au quotidien.
Or ces indicateurs sont en réalité flous dans leur définition et leur mode de calcul, mouvants, dans le temps ou l’espace, difficiles à consolider et à interpréter, mais faciles à manipuler et peuvent facilement induire en erreur les décideurs politiques.
A titre d’exemple, le taux d’occupation des lits de réanimation, pouvant dépasser les 100%, interroge : ce taux est ainsi un indicateur trompeur, car il se base sur la capacité initiale en lits, qui a beaucoup varié depuis le début de l’épidémie.
4.2 – Les révélations de Nice Matin faisant état d’un rapport de 1 à 2,5 concernant les estimations
Le 16 janvier 2021, Nice Matin publie un article qui fait l’effet d’une bombe : « Pourquoi le nombre de malades entre les données de Santé Publique France et celles des hôpitaux est si différent. Notre décryptage ».
Nice Matin, après avoir enquêté a en effet découvert que les « informations précieuses, relayées à tous les professionnels hospitaliers ainsi qu’à l’ARS, et qui participent en premier lieu aux choix politiques : couvre-feu, confinement… » n’étaient pas fiables, alors même qu’elles conditionnent les mesures prises, qui ont pour objectif d’éviter une saturation des lits d’hôpitaux.
4.2.1 – La nature du problème
À titre d’exemple, le 3 janvier dernier, Santé publique France comptabilisait 564 personnes hospitalisées avec un diagnostic Covid-19 dans le département des Alpes-Maritimes (dont 69 en réanimation), quand dans la réalité « seulement » 233 patients au total (dont 55 en service de réanimation) étaient ce jour-là hospitalisés dans l’un ou l’autre des établissements (privés ou publics).
Le journal interroge judicieusement : « comment comprendre cette différence d’un facteur 2.5 entre ces deux sources ? »
Nice Matin observe par ailleurs, et s’en inquiète, « de vraies divergences dans l’évolution des courbes, pendant des périodes déterminantes. Ainsi, alors que celles traduisant la progression des hospitalisations pour formes graves dans les Alpes-Maritimes, produites par les acteurs de terrain, font état d’une relative stabilité, voire d’une décroissance, à compter du 10 novembre et pendant plusieurs semaines, la courbe publiée par Santé publique France décrit une croissance constante de ces hospitalisations ».
4.2.2 – Quelques explications
Première explication : le maintien dans les bases de données, des malades sortis d’hôpital
« Le chiffre des hospitalisations provenant des hôpitaux eux-mêmes inclut les patients en soins critiques, en lits de médecine mais ne tient pas compte à juste titre de ceux qui ont eu le Covid par le passé, et qui sont toujours hospitalisés en soins de suite et réadaptation (SSR), pour une prise en charge des séquelles de leur maladie.
Des patients qui ne sont plus contagieux pour la grande majorité d’entre eux.
« Au bout de 14 jours, ces patients devraient être sortis des bases, nous indique un spécialiste en santé publique. Dans la réalité, il est fréquent qu’ils ne le soient pas tant qu’ils restent présents dans les unités de SSR. De façon plus générale, les malades de la Covid-19 qui quittent l’hôpital après un séjour en réanimation ou dans un autre service ne sont pas toujours sortis des bases. Comme Santé publique France fait des extractions de ces données, elles sont mathématiquement supérieures à la réalité. »»
Deuxième explication : une confusion des motifs
« Lorsqu’un patient est hospitalisé pour un motif quelconque (insuffisance cardiaque, décompensation diabétique…), dans l’un ou l’autre des services des hôpitaux ou cliniques, et qu’il est testé positif pendant son séjour, il rejoint le « pool des personnes hospitalisées pour Covid » dans la base de données, même s’il ne présente aucun symptôme.
Lorsque des patients arrivent dans les services d’urgences avec une suspicion de Covid, ils sont aussitôt rentrés dans la base SI-VIC. Si le diagnostic n’est pas confirmé, ils doivent ensuite être retirés de la base, ce qui n’est là encore pas systématiquement fait.
Le système de recueil de données inclut les patients positifs résidents en EHPAD, dans des maisons d’accueil spécialisé (MAS) et foyers d’accueil médicalisé (FAM), même si leur état n’a pas justifié une hospitalisation dans l’un ou l’autre des secteurs dédiés ».
Troisième explication : la politique de tests systématique
« Au-delà des différences dans le nombre total de patients hospitalisés pour Covid, comment expliquer les divergences dans les trajectoires des courbes entre le 10 novembre et le 15 décembre ? Intrigués, aucun des spécialistes contactés n’a su pour autant nous répondre.
La réponse s’explique peut-être en partie par le nombre de tests réalisés. Les Alpes-Maritimes figurent parmi les départements qui testent le plus en France. Or, plus on teste, plus on trouve de positifs. Des personnes testées positives alors qu’elles sont hospitalisées ou qu’elles résident dans des établissements sanitaires et sociaux, Ehpad en priorité (qui ont fait face pendant cette période à de nombreux clusters), rejoignent la case des personnes « hospitalisées avec diagnostic Covid-19 » sur le site de Santé publique France.
On s’aperçoit, en suivant la courbe issue des données des hôpitaux, que l’accroissement du nombre de positifs ne s’est pas traduit par une augmentation des hospitalisations dans des structures de soins, et n’a donc pas constitué une menace pour le système de santé ».
4.2.3 – Un biais majeur dans le pilotage de la politique sanitaire
Cette bataille des chiffres a matière à inquiéter de l’avis même des acteurs en première ligne dans cette crise : « C’est un biais terrible, alors que toute la communication est en effet basée sur les chiffres de Santé Publique France. Et la problématique est certainement nationale, nous confie l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat (chacun partage la même crainte d’être accusé de nourrir la théorie du complot).
En pleine décroissance des hospitalisations, les journaux titraient : l’épidémie repart ! Et lorsque le couvre-feu à 18 heures a été instauré, on a aussi dit : ça explose à Nice ! La réalité, c’est que ça n’évoluait pas plus qu’ailleurs. »
4.3 – Le rapport de la cour des comptes du 18 mars 2021
Le jeudi 18 mars 2021, la Cour des comptes a relevé « les nombreuses incertitudes et imprécisions » dans la collecte d’informations des hôpitaux sur le nombre de malades du Covid-19 et de lits disponibles, données servant pourtant de base à la politique sanitaire nationale.
Comme l’affirme FranceInfo, d’après l’AFP, le rapport est cinglant pour l’éxécutif.
Dans son rapport annuel, la Cour a étudié la réaction des établissements de santé face à la première vague de Covid-19 dans une zone très touchée, la Franche-Comté, et une région plus épargnée, la Nouvelle-Aquitaine.
Elle y pointe notamment « les nombreuses incertitudes ou imprécisions qui entourent le système de collecte et les remontées d’informations servant de fondement aux décisions stratégiques nationales, tant sur la comptabilisation des malades que sur celle des capacités disponibles ».
Le rapport met en lumière trois éléments de dysfonctionnement :
- Des systèmes de codification complexe qui, par exemple, imposaient de ne comptabiliser que les malades pour lesquels « un diagnostic a été clairement établi », excluant les cas de suspicion de Covid.
- Un outil informatique inadapté : celui utilisé pour faire le recensement des malades était celui « conçu et déployé pour répertorier les victimes des attentats de Paris de novembre 2015 ». Selon la Cour, ce système est donc inadapté, « pas conçu pour être utilisé dans la durée » et il a nécessité de nombreuses saisies manuelles.
- Un recensement des lits d’hôpitaux, et notamment de réanimation, totalement imprécis : la Cour des comptes souligne « la faiblesse » de l’outil informatique « répertoire opérationnel des ressources ». Le rapport donne l’exemple du CHU de Poitiers (Vienne), qui a d’abord déclaré 37 lits de réanimation, puis 53, voire 65, « soit presque du simple au double » en changeant de modes de calcul.
4.4 – Des interrogations voire des soupçons de manipulation de chiffres
Le 12 mars 2021, le site Baslesmasques fait état d’une étrangeté : « pendant que les hospitalisations baissent, le nombre d’entrée en réanimation augmente mystérieusement. Derrière ce paradoxe, un changement suspect de la stratégie d’admission en réanimation, qui relance les soupçons contre le sérail médical parisien.
Invité sur CNEWS ce vendredi 12 mars, le professeur Michaël Peyromaure explique qu’on a « modifié dans certains services, dans certains endroits, les critères d’admission en réanimation. » Selon le chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin à Paris, la rumeur court que, dans certains services, « on ferait rentrer des patients qui pourraient très bien aller dans des services conventionnels ». Ce que semble confirmer l’épidémiologiste Martin Blachier : « Comme ce sont des patients plus jeunes qui arrivent à l’hôpital, les réanimateurs n’ont pas du tout la même attitude. Dès qu’il y aura le moindre signe de gravité, le patient va être envoyé en réanimation. »
Mais quel intérêt d’envoyer des patients en réanimation qui auraient parfois besoin d’une simple assistance respiratoire ? Selon le professeur, « on a bien vu que le débat confinement / non confinement avait fait des mécontents. Et il est tout à fait possible que dans certains hôpitaux, des mécontents saturent à dessein certains services de réanimation. Je vous le dis car ce sont des bruits qui montent et qu’on entend de plus en plus dans mon milieu ».
Une accusation qui est certes grave mais qui hélas ne devrait pas nous étonner.
À ce jour, aucune preuve ne vient confirmer cette hypothèse. Mais l’influence des alarmistes dans le milieu médical parisien, sur fond de guerres d’égos, permet de laisser planer le doute. D’autant plus que cette hausse des réanimations est particulièrement observable en Île-de-France et que l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) semble être le terrain privilégié de certaines luttes d’influence politico-sanitaires.
Il y a en effet quelque chose qui cloche avec les « clochistes » (qui veulent mettre la population sous cloche). La consanguinité finit par devenir inquiétante :
« Ce que semble être également l’Agence régionale de Santé d’Île-de-France – agence chargée de communiquer les chiffres des hôpitaux – dont le directeur Aurélien Rousseau est marié à Marguerite Cazeneuve, ex-conseillère du Premier ministre et nommée depuis quelques jours directrice de l’organisation des soins à la Caisse nationale d’Assurance maladie. Une ARS Ile-de-France dont le directeur de la communication est un certain David Heard, qui est également le frère de Mélanie Heard, ex-conseillère à l’ARS et à la Haute autorité de santé, désormais chargée du pôle santé du think-tank progressiste Terra Nova. Fameux laboratoire d’idée dont les travaux ont déjà servi de référence au professeur Gilles Pialoux, qui ne cesse de réclamer une mise sous cloche de la population ».
Par ailleurs, la tension hospitalière qui alarme tant le ministre de la Santé, n’a rien d’exceptionnel, comme l’a si justement rappelé Martin Blachier, qui semble désormais assumer des positions de plus en plus rassurantes : « Tous les ans, on a 90% de saturation des services de réanimation (au 11 mars, ce taux était de 77,5%, NDLR). […] On a des régions qui sont saturées et des régions où il n’y a quasiment pas de Covid. Devoir faire des transferts parait naturel. Ce n’est pas un signe de gravité ! ».
Un chiffre confirmé par Nicolas Meilhan, Membre des Econoclastes, qui a montré dans un twitt (depuis effacé) que le taux d’occupation des lits de réanimation est resté constant à 90% depuis des années, en se basant sur la base de données de 27000 lignes de la Drees.
4.5 – Une facile instrumentalisation des chiffres pour infléchir la politique sanitaire
Comme on l’a vu, il est facile de truquer les chiffres du « thermomètre sanitaire » pour orienter la politique gouvernementale en fonction de ses convictions.
4.5.1 – Des taux d’occupation surestimés par le mode de calcul
Comme on l’a vu, le taux d’occupation en réanimation peut dépasser les 100%. Il se base en effet sur la capacité initiale en lits. Or, cette capacité a beaucoup varié depuis le début de la pandémie de Covid-19, qui est habituellement de 5000 lits. Sauf qu’après l’arrivée de la seconde vague, le gouvernement a peu à peu augmenté cette capacité.
Ainsi, pour les Hauts-de-France, la capacité est passée d’une capacité de 474 lits en 2019 (173 lits en CHR et 301 lits dans les autres établissements de la région) à 850 lits depuis le 10 mars 2021. Donc, comme le dénominateur du taux est estimé à la baisse, le taux est nécessairement et systématiquement surestimé.
Au global, la capacité totale d’accueil en réanimation et soins intensifs a été portée de 5000 à 6400 lits, avec un objectif à 7500 en fin d’année 2020, qui pourrait encore être relevé à 10 500 lits. Cela signifie que le taux d’occupation des lits en réanimation tourne plutôt autour de 73%, au lieu des 92,5% affichés par le site du gouvernement. Le cabinet du ministère de la Santé explique au Monde que ce choix a été fait pour évaluer la « pression » de l’épidémie sur l’hôpital. Cet indicateur permet également de faire fluctuer les capacités d’accueil de manière préventive.
4.5.2 – Une définition imprécise qui fausse l’interprétation
L’indicateur ne mesure pas comme on pourrait le penser le nombre de lits occupés par des patients Covid-19 dans les services de réanimation rapporté au nombre de lits disponibles en réanimation.
Il mesure en fait le nombre de lits occupés en « soins critiques », qui cumule les lits en réanimation (5432 lits en 2018), en soins intensifs (5832 lits en 2018), ou en surveillance continue (8062 lits en 2018), les trois services où sont pris en charge les cas graves, rapporté au seul nombre de lits disponibles initialement en réanimation.
Or ces trois services n’accueillent pas des patients dans le même état de gravité : les unités de surveillance continue prennent en charge des patients qui n’ont pas encore de défaillance organique, pour les surveiller, les soins intensifs, accueillent des malades qui souffrent d’une défaillance grave d’un seul organe et la réanimation accueille les malades les plus gravement atteints.
En clair, les autorités présentent un taux d’occupation des services de réa… qui prend en compte des patients qui ne sont pas dans ces services.
Le ministère de la Santé explique additionner tous les patients Covid en soins critiques parce qu’ils « sont susceptibles de nécessiter à un moment où à un autre un passage en réanimation, en fonction de l’évolution de leur état ».
Par ailleurs, cette confusion sémantique serait sans importance si elle s’appliquait également au nombre de lits de réanimation. Sauf que ce n’est pas le cas : les lits de réanimation n’englobent pas les lits de soins intensifs et de surveillance continue. Il existe environ 5 800 lits de réanimation et 14 000 lits de soins intensifs et de surveillance continue. Les taux d’occupation des services de réanimation sont donc faussés puisque les patients en réanimation ne devraient pas être rapportés aux 5 800 lits de réanimation, mais à l’ensemble des lits de soins critiques, soit environ 20 000 lits.
Enfin, la répartition exacte des patients entre les trois services de soins critiques reste mystérieuse ce qui empêche de connaître le véritable nombre de personnes en réanimation. Il est également difficile de savoir à quel niveau se réalise la fusion des effectifs. Est-ce Santé Publique France qui décide sciemment de ne pas donner cette information ou bien les hôpitaux qui livrent un chiffre global non détaillé ? La question reste entière.
Un autre chiffre qu’il serait judicieux de connaître est le nombre de « personnes en réanimation et en soins intensifs hors-covid » afin d’évaluer la réelle saturation des hôpitaux. Mais là encore, aucune communication gouvernementale sur ce paramètre qui pourrait, s’il était élevé, être d’une grande aide pédagogique pour dissiper le scepticisme d’une partie de la population.
Interrogé par CheckNews, « c’est vrai qu’on mélange un peu tout », dit le professeur Annane Djillali, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, assez critique sur l’indicateur des autorités sanitaires.
« Pour le Covid-19, on a des patients qui auront besoin de forte concentration d’oxygène, de surveillance, mais qui n’ont pas besoin de ventilation mécanique. Ils ne passeront jamais par la case réanimation. Au sein de mon établissement, dans mon service, j’ai 30% des patients qui vont en Unités de Surveillance Continue, les autres vont en réanimation, parce qu’ils ont besoin d’une assistance respiratoire. Et cette répartition va changer selon les établissements… Il y a des établissements, pour prendre un exemple extrême, où il n’y a pas de réanimation mais uniquement de la surveillance continue.»
Au-delà de la diversité selon les établissements, les frontières entre les différents services de soins critiques (réanimation, soins intensifs, surveillance continue) peuvent être mouvantes, et compliquent beaucoup l’appréhension statistique de la répartition. La surveillance continue, expliquent les spécialistes interrogés, précède ou succède fréquemment l’admission en service de réanimation. Un même patient transitera ainsi d’un service à l’autre.
Toujours selon CheckNews, l’affectation d’un même patient en réanimation ou en surveillance continue pourra aussi être différente selon le niveau de tension hospitalière de l’établissement. Le professeur Jean-Michel Constantin, anesthésiste-réanimateur à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et secrétaire général adjoint de la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) explique ainsi :
« Dans notre hôpital, quand il n’y avait pas de tension hospitalière, les patients Covid+ en état critique étaient admis directement en service de réanimation, et pas en unités Soins Intensifs ou Surveillance Continue. Cela permettait de les isoler facilement et d’avoir un meilleur suivi.»
5 – Les conséquences durant la pandémie Covid19 de 2020
L’augmentation des flux liée à la fragilisation du système hospitalier français, couplé à un pilotage déficient des capacités d’accueil en réanimation, a engendré quatre conséquences majeures dans la gestion de l’épidémie Covid :
- La mise en place de mesures de distanciation sociales mortifères pour le pays
- L’abandon de soins via le maintien à domicile, au travers de la stratégie informelle de non-soins à domicile dite « des 4 D » : Dodo, Domicile, Doliprane, Décès
- Le refus de soins à l’hôpital au travers d’une sélection qui ne disait pas son nom
- Le choix de l’euthanasie pour les personnes âgées en Ehpad, pour diminuer les souffrances des patients dont on refusait le transfert en hôpital, ou des patients « triés » négativement.
5.1 – La mise en place de mesures de distanciation sociales mortifères pour le pays
Les mesures de distanciation sociale telles que le confinement ont été choisies pour limiter la saturation du système de soins intensifs.
En effet, dès le 12 mars 2020, le Conseil Scientifique a proposé le premier confinement dans son avis n°1, pour limiter le « risque de saturation rapide des services de réanimation ».
Dans son 4ième avis le 28 mars 2020, il justifie le choix du prolongement du confinement : « questionné par le ministre des Solidarité et de la Santé sur la reconduction du confinement au-delà des quinze premiers jours, le Conseil scientifique rappelle que cette intervention vise en premier lieu à soulager les services de réanimation français, en réduisant le nombre de formes graves nécessitant un séjour en service de réanimation. |…] Avant d’envisager une sortie du confinement, le gouvernement devra s’assurer que l’objectif de l’intervention est atteint. Cette décision pourra être prise sur la base d’indicateurs épidémiologiques indiquant notamment que la saturation des services hospitaliers, et des services de réanimation en particulier, est jugulée ».
Dans son 6ième avis du 02 avril 2020, il spécifie bien que « le principal objectif de la mise en place du confinement le 17 mars 2020 était de soulager les services de réanimation des régions les plus touchées comme le Grand Est, les Hauts de France, la Corse, et l’Ile de France ».
Toutes les prolongations des confinements 2 et 3, ainsi que la mise en place des couvre-feux nationaux ou locaux, ont été choisies pour satisfaire ce même objectif.
5.2 – L’abandon de soins via le maintien à domicile
5.2.1 – L’indicateur des abandons de soins
L’analyse « COVID-19 – du mythe aux statistiques » réalisée par un mathématicien souhaitant rester anonyme, déjà présentée dans l’Argument 1, est remarquable pour identifier l’évolution des déficits de soin en France.
L’auteur a construit un indicateur des abandons de soins : pour cela, il exploite la différence entre la mortalité hors de l’hôpital et celle à l’hôpital. Ainsi, plus l’indicateur est haut, plus on meurt hors de l’hôpital, donc sans soins hospitaliers.
L’auteur précise que :
« La prise en charge médicale évolue avec le temps. Les progrès de la technique permettent d’améliorer la qualité des soins sans pour autant dépendre de la prise en charge des malades, mais seulement jusqu’à un certain point. En effet, la précocité des diagnostics est un facteur majeur dans l’augmentation de l’espérance de vie : traiter un cancer ou un diabète au plus tôt permet d’éviter bien des complications futures et ainsi de préserver plus longtemps la santé des patients.
De deux choses l’une : on meurt soit à l’hôpital, soit en dehors. Dans le premier cas, c’est le signe que la prise en charge a permis au malade de recevoir des soins. Il est certes mort ; mais bien plus nombreux sont ceux qui survivent. Cependant, dans le second cas, la prise en charge n’a pas été assez efficace pour hospitaliser le malade puis tenter de le sauver. Quand la cause de la mort est rapide, il n’est pas toujours possible d’arriver à temps sur les lieux pour soigner le patient. Mais quand la mort est lente, plusieurs jours à plusieurs semaines comme dans le cas de la COVID-19, la mort en dehors de l’hôpital signifie un abandon de soins ».
Cet indicateur a atteint son paroxysme en 2020, y compris au creux de la pandémie, traduisant un affaiblissement du système de santé publique :
« L’indicateur d’abandon de soins est très stable sur la période 2017-2019 : les courbes des décès dans et hors de l’hôpital sont presque superposables. Si nous les reproduisons au même niveau, nous pouvons alors observer que cette superposition ne se fait pas sur 2020. La figure 20 montre que les abandons de soins étaient massifs en 2020 pendant les pics de la COVID-19, mais également hors des périodes de virulence, ce qui prouve la désorganisation de la santé publique française cette année-là : on ne peut pas accuser la COVID-19 quand elle ne sévit pas. Les malades mettaient plusieurs jours à plusieurs semaines pour mourir : ils savaient quand ils étaient malades et ils avaient tout le temps de chercher de l’aide. Ainsi, les abandons massifs de soins en 2020 ont uniquement été le fait d’un affaiblissement généralisé du système de santé publique ».
Nous reprendrons nombre des analyses de ce mathématicien anonyme pour la suite de notre propos, sur le refus de soins à l’hôpital et l’euthanasie.
5.2.2 – La stratégie dite des 4D
Faute de ne pouvoir accueillir les malades dans les hôpitaux saturés, le gouvernement a opté pour ce qu’on a fini par appeler la stratégie des 4d (Domicile, Dodo, Doliprane, Décès), compte tenu de son efficacité finale : la mort des patients à domicile.
Comme l’évoque l’Est Républicain, le docteur Erbstein a écrit un livre « Je ne pouvais pas les laisser mourir ! » dans lequel il étrille la gestion de l’épidémie, les injonctions contradictoires, l’incurie du système de santé, les méthodes moyenâgeuses mises en œuvre comme le confinement et les contempteurs qui lui ont mené la vie dure. Le Conseil de l’Ordre des médecins de Moselle l’avait en effet sanctionné pour avoir prescrit, en plein pic épidémique de coronavirus, une combinaison médicamenteuse à base d’azithromycine, un antibiotique courant de la famille des macrolides.
Confronté à une tragédie sanitaire, il n’a cessé de défendre sa position de médecin généraliste en s’opposant à la « dialectique des 4D : Dodo, Dolicétamol, Domicile, Décès ».
Sans fioriture ni embarras, le médecin de 54 ans raconte comment il en est venu ainsi à prescrire son remède :
« La bascule a lieu un soir de mars. Une de mes patientes, d’une petite quarantaine, m’envoie un message tard dans la nuit, me disant que son état empire. Je l’ai vue dans la matinée pour une très forte suspicion de Covid. Tout était là. […] Pas de signe d’infection pulmonaire et naturellement inutile de faire un test PCR, réservé aux professionnels de santé et dont les résultats nous parviennent 3 à 4 jours plus tard. « Restez chez vous, et si cela ne va pas, j’ânonne par cœur, faites le 15. » […] Les urgences n’ont pas cru bon de venir. Les hôpitaux sont déjà au bord de la rupture. La jeune femme m’en fait part. Ma décision est prise instantanément. Je tombe dans le camp des charlatans couverts d’opprobre et de mépris. »
Depuis le début le gouvernement français répète qu’il n’y a pas de traitement contre la covid19. Mais il ne s’est pas contenté de le dire, il a tout fait pour rendre impossible tout autre traitement que le Doliprane dans la première phase de la maladie en prenant plusieurs mesures règlementaires contre les traitements à l’hydroxychloroquine et aux antibiotiques de la famille des macrolides.
Pourtant, et cela reste à ce jour incompréhensible, l’Etat aurait pu s’appuyer sur les médecins de ville et les laisser prescrire ce qu’ils avaient l’habitude de faire lors des différentes épidémies hivernales : notamment des antibiotiques.
5.3 – Le refus de soins soigneusement planifié
Les refus de soins dans les hôpitaux français sont organisés officiellement et se retrouvent décrits dans les recommandations des autorités de santé. Les recommandations « Décision d’admission des patients en unités de réanimation ou de soins critiques dans un contexte d’épidémie de Covid-19 » de l’ARS Île-de-France concernant la COVID-19, datant du 20 mars 2020, définissent les règles à appliquer pour décider qui sera soigné en hôpital et qui ne le sera pas. Le document n’évoque pas explicitement le terme de refus de soins car la chose est condamnée par la loi : il fait donc mention de « limitations des traitements » ou de « retraits de traitements ». En lieu et place de la prise en charge curative ordinaire, il préconise la « prise en charge palliative aiguë » en ces termes :
Le droit à une analgésie proportionnée, à une sédation proportionnée ou profonde et continue maintenue jusqu’au décès prévenant toute souffrance doit être garanti.
L’ARS Île-de-France garantit donc, hors de tout cadre juridique, le droit à l’euthanasie, pourtant illégal en France, si l’on s’en tient à la définition du dictionnaire de l’Académie (9e édition) qui la définit comme suit :
Euthanasie, n. f. : Mort, douce et sans douleur, survenant de façon spontanée, sans autre intervention éventuelle que l’administration d’analgésiques.
Il encourage même à créer des centres d’euthanasie : « L’anticipation d’ouverture d’unités aiguës de soins palliatifs devant assurer cette mission doit être encouragée, dans le même temps que l’ouverture des capacitaires de soins critiques. »
Elle propose également de retirer aux patients déjà en réanimation ses supports vitaux pour les transférer en centre d’euthanasie : « Cette solution incite à extuber précocement des malades et à les transférer en structure intermédiaire (y compris avec des relais en haut débit d’oxygène) impose de respecter la temporalité des processus décisionnels et l’éventuelle introduction des soins palliatifs ainsi
que l’accompagnement des familles. »
Le but affiché est de rétablir « l’équilibre entre les besoins médicaux et les ressources disponibles ».
Il faut se replacer dans le contexte de l’époque : l’ARS Île-de-France, avant même le début de la première vague de mortalité, décide qu’il n’y aura pas de place pour tous les malades à l’hôpital et qu’il faudra donc faire un tri. Mais il note que malgré tout il faudra se donner les ressources pour ouvrir des centres d’euthanasie. Elle utilise le terme de « bumping » pour désigner le fait de priver un patient des soins qu’il recevait pour laisser sa place à un autre patient jugé digne d’être sauvé :
La troisième possibilité pour éviter de faire perdre une chance au patient nécessitant une admission en réanimation serait de faire sortir un patient déjà présent en réanimation pour libérer une place (bumping).
L’équipe médicale se retrouve alors à décider qui mérite de vivre et qui a le devoir de mourir. Quant aux critères de tri, ils sont fondés non pas sur un diagnostic médical précis mais sur un tableau numéroté de 1 à 9 hiérarchisant des impressions allant de « personnes robustes, actives » à « dépendance complète » en passant par « empêche de faire des courses ». Chaque niveau est illustré par une petite représentation graphique du patient.
Le malade au stade le plus critique, 9 – en phase terminale, ressemble à un homme avachi sur sa chaise, avec le commentaire suivant : « A l’approche de la fin de vie. Cette catégorie s’applique aux personnes dont l’espérance de vie est < 6 mois, qui ne sont pas autrement d’une fragilité évidente ».
À aucun moment le consentement écrit du patient ou de la famille n’est évoqué. Ils doivent être informés, ils peuvent à la rigueur donner leur opinion ; mais rien n’est prévu pour refuser l’abandon des soins. Le texte précise bien : « la décision reste de la responsabilité d’un seul médecin », après concertation avec l’équipe médicale afin de diluer la responsabilité dans la « collégialité ». Le respect des volontés du patient de de la famille est laissé à leur libre appréciation.
Ainsi, l’ARS Île-de-France, par une simple préconisation informelle, donne avec une extrême légèreté le droit aux médecins de décider de la vie et de la mort de ses patients. Contrairement au motif allégué, ces recommandations ne sont pas d’ailleurs spécifiques à la COVID-19 : « Dans ce contexte, ces principes décisionnels s’appliquent aussi bien aux patients COVID qu’aux patients non-COVID. Les données cliniques et de contexte pris en compte ne sont pas spécifiques aux patients COVID (comme âge, fragilité, comorbidités…), mais leur poids sur la nature de la décision prise pourrait l’être selon les situations. »
C’est donc bien une stratégie générale de santé publique qui est ainsi définie, peut-être même une vision de la société où la mort planifiée des inutiles car trop vieux ou trop coûteux serait tolérée, encouragée même.
5.4 – L’euthanasie des malades en Ehpad
Le sujet de l’euthanasie est hautement sensible. Dans le cadre de la crise Covid que nous avons connue, il l’est davantage dans le sens où l’on peine à lire ce qui s’est passé courant 2020, et plus encore, à le croire. Et pourtant…
Au moment même où le gouvernement « interdisait » l’hydroxychloroquine, le 28 mars 2020, il publiait un décret élargissant la prescription du Rivotril injectable, en particulier dans les Ehpad, aux patients âgés en détresse respiratoire, que l’on soupçonnait d’être atteints du Covid. L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre. Le député UDI Meyer Habib, le qualifie alors de « permis légal d’euthanasier en France ». Le 3 décembre 2020, le sénateur LR et radiologue Alain Houpert twitte : « On a tué les seniors au Rivotril, on les a fait mourir de solitude et maintenant, les survivants serviront de cobayes aux vaccins »
Quand le sujet est sorti sur la place publique, le gouvernement s’est empressé de nier et jouer la carte des fake news et des complotistes de tout poil, jamais à court d’accusations fantaisistes et approximatives.
5.4.1 – Les accusations d’euthanasie
Pour évoquer le sort de « nos anciens, interdits d’hospitalisation pendant le confinement », corrélé au « nombre de morts a[yant] explosé dans les Ehpad », le documentaire Hold-Up tend le micro au pharmacien Serge Rader. Pour lui, l’autorisation par le gouvernement de la vente en pharmacie du médicament sédatif Rivotril est la porte ouverte à une légalisation de l’euthanasie des personnes âgées :
Non seulement on ne les a pas amenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement alors qu’ils étaient déjà en détresse respiratoire.
Une rumeur qui a également circulé à de nombreuses reprises, sous différentes formes, twitts, pages facebook, vidéos ou émissions de radio, qui cumulent des centaines de milliers de vues :
- Le député européen et ancien député du Gard Gilbert Collard a affirmé dans un tweet – partagé plus de 2.000 fois depuis le 2 avril 2020 – qu’un décret du 28 mars autorisait l’euthanasie « pour se débarrasser des vieux ».
- Une émission de Radio Shalom qui fait dire à un certain « docteur Hardy », « que lorsqu’on administre (…) du Rivotril sous forme injectable, on sait ce qu’on fait, s’il n’a pas de respirateur, on sait qu’on est en train de le noyer ».
- On retrouve aussi cette idée dans un tweet de Sud Radio : « il y a un décret qui permet de délivrer du #Rivotril, qui sert de sédation car il n’y a plus de place dans les hôpitaux. On achève nos personnes âgées dans les #EHPAD ».
5.4.2 – Les contre-feux médiatiques
Très vite, pour couper court à ces accusations, plusieurs journaux ont publié des démentis : les Décodeurs du Monde, AFP-Factuel, FranceInfo, La Voix du Nord, etc.
Les éléments de langage s’articulent autour de 3 éléments :
- Le décret du 28 mars 2020 modifie temporairement le périmètre d’utilisation et de prescription du Rivotril sous forme injectable.
- Ce médicament est habituellement prescrit pour soigner certaines crises d’épilepsie, mais il peut aussi être « appliqué comme sédatif pour des patients en soin palliatif«
- Soulager la fin de vie d’un patient ne signifie pas que l’euthanasie est légalisée en France puisqu’elle est interdite. L’objectif de la sédation profonde est de « soulager une souffrance réfractaire« .
Ils admettent cependant que :
- La Voix du Nord : « Oui, le Rivotril, habituellement prescrit pour l’épilepsie et certaines douleurs neuropathiques, « permet aussi la sédation continue et profonde », c’est-à-dire « de soulager les patients en fin de vie », explique Franck Roussel, secrétaire général du conseil départemental de l’ordre national des médecins.
- L’AFP-Factuel : « Ce type de médicament est utilisé dans le cadre des soins palliatifs pour endormir profondément (« sédater ») le patient et lui éviter de souffrir, comme mentionné ici par l’Agence du médicament ».
- FranceInter : « des molécules, comme le Rivotril, qui sont habituellement réservées aux hôpitaux, sont « indispensables pour assurer une prise en charge digne de la détresse respiratoire asphyxique des très nombreux résidents, ne relevant pas d’une hospitalisation, qui décéderont en Ehpad ».
- Le Monde : « L’objectif est « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation, ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise »
Par ailleurs, ces journaux citent Olivier Véran, qui a déclaré ces accusations « honteuses » début novembre, tout en les validant dans les faits, par une sorte de passe-passe sémantique qui ne trompe personne :
On ne pouvait plus utiliser les médicaments de confort de fin de vie pour des gens qui allaient mourir, a expliqué le ministre de la Santé. Il y avait deux options : ou on laissait les gens mourir d’agonie dans les Ehpad […], ou on les accompagnait pour les soulager avec un autre médicament qu’est le Rivotril, conforme aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.
On joue ici sur les mots : on a administré un médicament, pour réduire la souffrance des patients, tout en sachant qu’il allait les tuer à coup sûr, sans leur laisser aucune chance de rémission.
5.4.3 – Qu’est-ce que le rivotril ?
Le rivotril est une benzodiazépine (c’est-à-dire un médicament à visée anxiolytique) utilisée dans l’épilepsie pour contrôler les convulsions.
Sa notice officielle précise pourtant qu’elle n’est absolument pas indiquée dans les cas d’infection par coronavirus. Le Rivotril est uniquement un antiépileptique. C’est de plus un produit très contrôlé : en 2006, l’Agence Française de Sécurité Sanitaire et des Produits de Santé (AFFSAPS) a instauré une surveillance renforcée du Rivotril dont les observations ont relevé entre autres un fort potentiel d’abus et d’usages détournés, ainsi que l’utilisation de la substance dans la soumission chimique. Suite à ce bilan, un plan de gestion de crise a été mis en place en 2008 au niveau national et une lettre a été diffusé à tous les prescripteurs (« RIVOTRIL®: Informations importantes sur le bon usage », ASSFAPS, lettre aux médecins généralistes, neurologues, pédiatres, pharmaciens, psychiatres – 7 juillet 2008), précisant en particulier que le rivotril doit être uniquement indiqué dans la prise en charge de l’épilepsie.
La forme orale est la plus utilisée et sa version intraveineuse l’est très rarement et uniquement dans le traitement d’urgence des crises convulsives épileptiques. Selon la notice de ce produit et les injonctions des autorités de santé, l’état clinique du patient atteint de la COVID-19 ne devrait donc jamais justifier l’injection de Rivotril, bien au contraire : son utilisation dans les cas de détresse respiratoire relève de la faute médicale grave. La notice précise bien que l’âge avancé est un facteur de risque et que l’insuffisance respiratoire est une contre-indication majeure à son utilisation :
- « N’utilisez jamais Rivotril 1 mg/1 ml, solution à diluer en ampoules : Si vous avez une insuffisance respiratoire grave. »
- « Ce médicament peut provoquer chez certaines personnes, en particulier chez les enfants et les personnes âgées, des réactions contraires à l’effet recherché. »
La notice du VIDAL précise en outre :
Il convient d’utiliser la plus faible dose possible chez le sujet âgé.
Parmi les effets indésirables, on trouve précisément les cas de complications de la COVID-19 :
- Insuffisance cardiaque (défaillance du coeur), arrêt cardiaque,
- Dépression respiratoire (importantes difficultés à respirer), arrêt respiratoire.
De même pour les contre-indications décrites dans le Vidal :
5.4.4 – Le décret du 28 mars 2020
Que dit-il ?
Le décret du 28 mars donne ainsi droit aux pharmacies d’officine de dispenser sous « forme injectable » le Rivotril aux patients atteints du Covid-19 ou susceptibles de l’être. L’objectif est « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation, ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise », expliquait la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF).
Il faut se rendre à l’évidence que le Rivotril est le pire médicament à administrer dans un cas de COVID-19, au point qu’on en vient immédiatement à penser que ses effets indésirables sont en réalité les effets désirés par les rédacteurs du décret du 28 mars 2020. En effet, le Rivotril n’est pas un analgésique.
5.4.5 – Du côté des témoignages
Le 17/11/2020, FranceTvInfo cite le témoignage d’infirmières et présente un extrait d’une enquête du 18 novembre 2020 de « Pièces à conviction », intitulée : « Covid-19 : que se passe-t-il vraiment dans les Ehpad ? ».
Sandra Rotureau, cadre de santé, témoigne :
Quand on a reçu ces directives, ça nous a choqués, de se dire que là, on ne donnait aucune chance aux personnes âgées de s’en sortir. Quand une personne âgée n’est pas hospitalisée [par manque de lits] et qu’ensuite, ce qu’on lui propose, c’est une sédation dès l’instant qu’elle va présenter une détresse respiratoire… ma première réaction, ça a été : on nous demande de faire une euthanasie passive auprès de nos résidents.
Ailleurs qu’à Buzançais, une médecin d’Ehpad public partage, à visage caché, « un sentiment d’horreur ». Alors qu’elle estime ne pas avoir « le droit de prescrire quelque chose qui pourrait soigner les personnes si elles étaient atteintes », elle est « autorisée à les faire partir… en douceur ».
On a abrégé les souffrances des gens. Moi, j’appelle ça l’euthanasie. Qu’on ait osé nous demander de piquer nos patients pour les faire partir plus vite, c’est insupportable.
5.4.6 – Du côté des chiffres de consommation
La publication du décret du 28 mars 2020 a été suivi d’effets massifs sur la délivrance de Rivotril injectable par les pharmacies. La figure 23 montre depuis cette date une énorme surconsommation de ville qui représente 13 490 ampoules. Dans le milieu hospitalier, la figure 24 présente une surconsommation de 11 323 ampoules. Au total, 24 813 ampoules ont été délivrées suite à ce décret, ce qui représente 3;25 fois la consommation annuelle ordinaire de Rivotril injectable.
Au sens strict, l’utilisation du Rivotril ne relève pas de l’euthanasie car le produit utilisé n’est pas un analgésique. Pire encore, elle a toutes les qualités pour précipiter la mort de ceux à qui on préconise de l’injecter. Enfin, le consentement formel et éclairé du patient ou de sa famille n’est pas requis. Ainsi, en toute rigueur, son administration suivant la note de l’ARS Île-de-France et le décret du 28 mars 2020, en plus de constituer un refus de soins caractérisé, entre dans le champ de l’homicide
5.4.7 – Un paradoxe troublant
Nous terminons ce chapitre en pointant du doigt un paradoxe, étonnant :
- D’un côté, on « interdisait » l’hydroxychroloquine qui pouvait guérir les patients au prétexte qu’il était inefficace et pouvait être dangereux dans des cas très rares
- De l’autre, on encourageait le Rivotril, dont on savait à coup sûr qu’il allait tuer les patients
Et nous laissons le dernier mot à notre mathématicien :
« Le gouvernement français interdit dans le même texte l’hydroxychloroquine, un produit connu comme anodin depuis des décennies, et à la place autorise la délivrance d’un poison mortel pour les personnes âgées en difficultés respiratoires. Tout laisse à penser que la politique de refus de soins et d’euthanasie fait partie d’un plan assumé, que l’État autorise l’euthanasie des malades indésirables dans le but de faire des économies financières en réduisant les ressources de santé publique. Hors de tout contrôle du législateur, malgré de nombreux débats houleux sur le sujet, l’euthanasie est devenue par simple décision de l’exécutif une pratique autorisée pour s’occuper des problèmes de santé des personnes âgées ».
6 – Et maintenant ?
Emmanuel Macron, le 12 mars 2020, dans son premier discours sur le Covid-19, a proposé de renouveler la vision apportée sur la Santé, qui ne peut être considéré comme un service marchand comme un autre :
« Il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties.
Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans conditions de revenu, de parcours ou de profession, notre État providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe.
Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie.
Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai… »
Puissions-nous, français, collectivement, lui rappeler cette promesse présidentielle.
Liens complémentaires pour en savoir davantage
- Rapport d’information sur la situation des urgences hospitalières de 2017 : le mercredi 26 juillet 2017, Laurence COHEN, Catherine GÉNISSON et René-Paul SAVARY ont présenté leur rapport d’information, en liaison avec l’organisation de la permanence des soins, devant la commission des affaires sociales.
- Panorama de santé 2019 de l’OCDE : chiffres clés sur les systèmes de santé des pays de l’OCDE.